Manéthon est une des figures les plus célèbres d’Égypte. Originaire de Sebennytos, dans le delta du Nil, ce grand prêtre d’Héliopolis vit au Ille siècle avant Jésus-Christ. Contemporain des deux premiers rois grecs originaires de Macédoine, Ptolémée ler Sôter et Ptolémée II Philadelphe, il est surtout connu par son Histoire d’Égypte, aujourd’hui perdue.
La naissance d’une nouvelle culture
E n 332 avant Jésus-Christ, Alexandre le Grand conquiert l’Égypte, jusque-là dominée par les Perses, où il est accueilli en libérateur. Il se présente comme le successeur légitime des pharaons en célébrant les cultes indigènes et en adoptant le protocole royal égyptien. A la mort du roi macédonien, Ptolémée, un des généraux de son armée, reçoit l’Égypte dont il devient gouverneur. A son tour, il se fait couronner pharaon et de-vient Ptolémée ler Sôter (le Sauveur). Bien que la capitale soit alors Memphis, la cour choisit pour résidence Alexandrie, fondée par le conquérant macédonien, qui va devenir en quelques décennies le nouveau centre du monde hellénistique.
Cette cour est avant tout grecque, même si, pour des raisons politiques, Ptolémée se réclame des traditions égyptiennes, comme celle de l’origine divine des pharaons, espérant ainsi imposer un pouvoir absolu.
Ptolémée II Philadelphe « celui qui aime (ou est aimé de)
sa sœur » –, son successeur, ira plus loin encore. Pour échapper à la tutelle du clergé égyptien, toujours puissant, il convoque tous les ans
les grands prêtres du pays en assemblée afin d’exercer un contrôle certain. Mais, les dieux des Ptolémées et des nouveaux colons grecs res
tent bien évidemment grecs. Le roi réunit donc à Alexandrie une commission de théologie formée de l’Égyptien Manéthon et de l’Athénien Timothée, qu’il charge d’établir des correspondances entre les cultes égyptiens. Leurs recherches aboutiront à la création du dieu Sérapis, qui associe Rê, Osiris, Pluton et Zeus. La nouvelle divinité suscitera une telle ferveur que son culte se répandra plus tard dans tout l’empire romain. Avec Isis et Horus, Sérapis constitue ainsi la triade d’Alexandrie.

Un historien égyptien
Pour asseoir leur pouvoir, les nouveaux maîtres de l’Égypte ont besoin de mieux connaître leur royaume. Ils demandent donc à Manéthon, prêtre égyptien, savant en écriture hiéroglyphique, de rédiger pour eux une histoire de l’Égypte en compilant les faits connus depuis les premières dynasties jusqu’aux dernières. De cette oeuvre écrite en grec, les Aiguptiaka, il ne reste rien. Elle est seulement connue par des citations d’historiens ou de compilateurs, notamment Flavius Josèphe, historien juif alexandrin du ler siècle de notre ère.
Si fragmentaire que soit notre vision de son oeuvre, Manéthon n’en a pas moins profondément marqué l’égyptologie moderne : c’est à lui que l’on doit la division des règnes en dynasties, de même que l’usage, contestable du reste, d’appeler les Amenhotep Aménophis, les Djhoutymès Thoutmosis ou les Sénousret Sésostris. Il s’agit là en effet des transcriptions grecques de noms égyptiens.
Des écrits religieux
Toujours dans l’intention d’instruire ses maîtres hellènes, Manéthon a également livré des travaux sur la religion : Le Livre sacré, Des fêtes et Des anciennes coutumes et de la piété. Ces ouvrages, également rédigés en grec, ont tous été perdus, et ce sont encore les auteurs postérieurs qui en ont révélé l’existence. Leur qualité devait être certaine puisque, en tant que prêtre, Manéthon était particulièrement versé en théologie égyptienne. On peut se demander, en revanche, si sa vision des temps passés était toujours très claire. Il ne faut pas oublier que mille ans le séparent de Ramsès II, et plus de deux mille ans de Khéops !
Une oeuvre perdue à jamais
Nous ne connaissons les travaux de Manéthon que grâce aux auteurs plus tardifs qui le citèrent. Si certaines informations semblent sûres, d’autres paraissent plus contestables. Les rapporteurs déformèrent-ils les propos de l’Égyptien ? Voici un passage de Plutarque tiré de son célèbre ouvrage sur Isis et Osiris dans lequel il expose une coutume barbare qui n’a été corroborée par aucune découverte. Plutarque dit la tenir de Manéthon : « Ainsi, lorsque survient une sécheresse (...) qui amène avec soi des maladies excessivement désastreuses, ou d’autres calamités extraordinairement imprévues ou étranges, les prêtres choisissent quelques-uns des animaux révérés et les emmènent dans les ténèbres en s’entourant de silence et de calme. Ils essayent d’abord de les effrayer par des menaces. Si le fléau persiste, ils les égorgent, soit pour ainsi châtier le mauvais génie, soit simple-ment pour accomplir une grande expiation en de très grands malheurs. Bien plus, dans la ville d’Ilithyrie (la Thébaïde), Manéthon rapporte qu’on brûlait vifs des hommes appelés Typhoniens et que, passant ensuite leurs cendres dans un crible, on les faisait disparaître en les semant au vent. Cette sorte d’expiation se pratiquait en public, à époques fixes, pendant les jours caniculaires. »