Qui se cache sous le masque de Toutankhmaon ?
Article mis en ligne le 19 mars 2008
dernière modification le 28 mars 2009

8o ans après la découverte de sa tombe, on ne sait rien, ou presque, de Toutankhamon.
Qui se cache sous son masque ? Le fils d’Akhenaton et de la belle Néfertiti ? Un usurpateur ?

Toutankhamon a été la victime d’un vaste complot politique. Après sa mort, sa mémoire fut effacée par l’un de ses successeurs, le général Horemheb, fondateur de la XIXe dynastie. Le tort du petit pharaon ? Il succède à Akhenaton, le fameux roi hérétique qui voulait imposer à ses sujets le dieu unique Aton. « Le règne d’Akhenaton fut un épisode terrible, explique l’égyptologue Jean Yoyotte. Imaginez un roi qui déciderait d’implanter une religion exotique dans la France de la première moitié du XIXe siècle et de fermer les églises ! » Guerrier, totalitaire, Akhenaton a traumatisé son peuple. Son règne se termine dans la confusion : épidémie de peste et revers militaires contre les Hittites.

Toutankhamon, son héritier dynastique, est forcément associé à cette période noire. Il doit disparaître. Horemheb détruit ses effigies, martèle partout son nom, notamment sur la fameuse stèle dite de la restauration où il fait graver, à la place, le sien. Cette stèle, découverte dans le temple de Karnak, raconte comment Toutankhamon, découvrant son royaume en piteux état - « les temples des dieux et des déesses, d’Eléphantine jusqu’aux marais du Delta, en ruine, envahis par la végétation » - décide d’élever de nouvelles statues et de reconstruire les sanctuaires. En se l’appropriant, Horemheb s’approprie également la restauration des anciens cultes,un des actes politiques les plus importants du jeune roi.

Résultat : la vie du petit pharaon, du berceau au tombeau, est une suite de mystères. Qui sont ses parents ? Comment est-il monté sur le trône ? Qu’y a-t-il fait ? Quelle fut sa mort ? Bien que les Egyptiens aient manipulé l’histoire, comme le dit Dimitri Laboury, de l’université de Liège, les égyptologues cernent mieux le pharaon aujourd’hui. Peu à peu, à partir de documents épars - inscriptions, vestiges exhumés à Amarna, la capitale fondée par Akhenaton en Moyenne Egypte, ou dans les tombes de la Vallée des Rois -, le puzzle se reconstitue. Mais les controverses sont toujours prêtes à ressurgir.

Buste de Toutankhamon

Fils de quel père ?

Aménophis III

Cette hypothèse a longtemps fait école. Plusieurs textes dédicacés par Toutankhamon à Aménophis III le désignent en effet comme son « père ». Aménophis III, père d’Akhenaton, serait donc aussi celui de Toutankhamon. L’hérétique et le petit roi, frères de sang ! Mais une telle filiation, lorsque l’on confronte les dates de règne des trois pharaons, suppose une longue corégence entre Aménophis III et Akhenaton. « C’est invraisemblable, s’insurge Jean Yoyotte. Comment imaginer deux Etats - avec les vestiges somptueux que l’on connaît à chacun - coexistant sur la totalité du territoire, l’un administré à Thèbes, l’autre à Amarna. Le terme de « père », souligne-t-il, n’a pas à l’époque la valeur d’un état civil. Il peut simplement désigner un grand ancêtre, une filiation divine.

Akhenaton

Pour Marc Gabolde, de l’université de Montpellier, l’un des meilleurs spécialistes de la période, il n’y a plus de doute : Toutankhamon est fils d’Akhenaton. De nombreux égyptologues sont d’ailleurs d’accord avec lui. « Le meilleur moyen de déterminer sa parenté est encore de débuter l’enquête avec un témoin sûr : sa momie », explique-t-il [1]. L’« autopsie » du corps indique que Toutankhamon aurait eu environ 16 ans à sa mort. Les inscriptions trouvées dans son tombeau qu’il a régné neuf ans. Il a donc 7 ans lors de son couronnement, et serait né vers l’an 13 du règne d’Akhenaton. Lequel est alors, insiste Marc Gabolde, seul sur le trône d’Egypte. Si Toutankhamon est fils de roi - comme l’atteste un bloc découvert à Hermopolis, ainsi légendé :« Le fils du roi, de sa chair, son aimé » -, il est donc, forcément, fils d’Akhenaton.

La solution génétique

Des analyses génétiques des momies permettraient peut-être d’en savoir plus. Celle de Toutankhamon est toujours dans sa tombe, celle d’Aménophis III se trouve au musée du Caire et celle d’Akhenaton pourrait bien se cacher dans une sépulture de la Vallée des Rois. Mais personne, en Egypte, ne semble prêt à prendre la responsabilité de livrer ces reliques aux scientifiques. Fin 2000, une équipe japonaise devait effectuer des prélèvements avec l’accord du gouvernement. Au dernier moment, le ministère de la Culture décidait d’annuler l’opération.

Et sa mère ?

Néfertiti ?

La grande épouse royale d’Akhenaton était la belle Néfertiti. Mais le couple, souvent représenté dans des scènes intimistes sur les monuments, d’Amarna, n’apparaît qu’avec des filles, D’où les discussions interminables sur la filiation de Toutankhamon.

Kiya

« On s’est trop focalisé sur Néfertiti, qui tenait aux côtés de son époux une place quasi théologique, explique Jean Yoyotte. Au point d’oublier que le pharaon pouvait avoir d’autres "conjointes". » Il y a une quinzaine d’années, les archéologues découvraient sur les monuments d’Amarna une certaine Kiya, épouse ordinaire d’Akhenaton. Aujourd’hui, pour de nombreux égyptologues, Kiya serait la mère de Toutankhamon.

Buste de Nefertiti

Néfertiti à nouveau

Pas d’accord, réplique Marc Gabolde, qui a dirigé plusieurs campagnes de fouilles à Amarna. Il s’appuie sur des inscriptions de la tombe royale d’Amarna, accompagnant la figure d’une femme qui tient un jeune bambin dans les bras. Lacunaires, elles comportent pourtant une titulature dont la longueur et la composition ne peuvent, selon lui, laisser penser qu’à un enfant de Néfertiti. Un enfant mâle - selon le déterminatif qui accompagne son nom détruit - qui serait né vers l’an 13-14 d’Akhenaton. Comme Toutankhamon !

Toutankhamon est-il un usurpateur ?

Le petit pharaon ne succède pas directement à Akhenaton. Après le décès brutal de l’hérétique, un personnage fantomatique occupe le trône durant trois années. C’est là encore un dossier confus, les anciens Egyptiens ayant « trafiqué » les preuves. Mais il pourrait s’agir de la propre sœur de Toutankhamon. Une femme pharaon, dont il va prendre la place et usurper une partie du trésor funéraire. « Deux noms apparaissent pour cette période de trois ans, détaille Dimitri Laboury : celui de Sémenekhkaré, dont la titulature ne figure que sur de petits objets : scarabées, sceaux... ; et celui de Néfernéférouaton attesté, lui, par des constructions et décors monumentaux d’Amarna. » Cette dernière figure est troublante. Car certains qualificatifs et désinences la disent féminine. Notamment cette épithète, présente dans un cartouche : « celle qui prend soin de son époux ».

Marc Gabolde voit, dans Néfernéférouaton, la sœur aînée de Toutankhamon : Méritaton. Celle-ci semble avoir joué un rôle important à la fin du règne d’Akhenaton, remplaçant sa mère dans sa fonction de grande épouse royale. A la mort d’Akhenaton, la situation est dramatique : Meritaton doit faire face aux menaces des Hittites. Toutankhamon est trop jeune, il n’a que 3 ou 4 ans. Elle écrit alors une lettre incroyable au roi des Hittites à qui elle demande de lui envoyer un fils pour régner à ses côtés sur le trône d’Egypte. Ce prince serait le fameux Sémenekhkaré. Mais il décède rapidement, et Méritaton monte sur le trône.

Le fossoyeur de cette parenthèse féminine serait Toutankhamon lui-même. On a découvert ces dernières années, avec la publication des inscriptions de son trésor funéraire, que certains objets avaient été usurpés, volés à un autre pharaon défunt. Des statuettes rituelles, mais aussi une bonne partie, sinon la totalité du dispositif canope - vases, coffre et sarcophages à viscères - ainsi que le second cercueil du roi. « Ces pièces présentent un visage qui n’est pas celui de Toutankhamon », explique Dimitri Laboury, auteur d’un passionnant travail sur le portrait du pharaon à l’occasion de l’exposition [2]. « Il s’agit sans aucun doute de Méritaton, poursuit-il. En récupérant le matériel funéraire de sa sœur, Toutankhamon a voulu la "dégrader", la rétrograder à son rang de princesse. »

Il ne fait d’ailleurs pas qu’usurper ses objets funéraires, il usurpe aussi ses initiatives. Car il semble bien qu’elle ait impulsé, avant lui, un retour à la religion orthodoxe, préatoniste. Un graffiti tracé dans une tombe thébaine et daté de son règne est en effet signé d’un certain Pawah, désigné comme « prêtre d’Amon » dans un temple thébain.

Mort assassiné ?

La cause de la mort de Toutankhamon est toujours inconnue, même si des radiographies ont révélé la présence d’une blessure derrière son oreille gauche qui aurait pu causer une hémorragie. Des chercheurs plus ou moins sérieux évoquent la thèse de l’assassinat. Mais rien ne permet de l’étayer. D’autant que le principal suspect, , a sans doute été calomnié par l’histoire. Vizir du pharaon, il monte sur le trône à sa mort, le roi et son épouse adolescente - Ankhesenamon, sa propre sœur - n’ayant pas eu d’enfants (à moins qu’on ne leur attribue les deux fœtus momifiés découverts dans la tombe de Toutankhamon).

est un homme de l’ombre, discrètement figuré sur plusieurs représentations derrière le pharaon, « comme en coulisses » selon les mots de Dimitri Laboury. Mais il fut un grand personnage sous le règne d’Akhenaton. Peut-être même appartient-il à la famille royale, car il est nommé « père divin ». Il pourrait être le père de Néfertiti, suggère Dimitri Laboury. honore la mémoire du jeune roi qu’il fait inhumer dans une petite tombe de la Vallée des Rois. Peut-être sa propre tombe, car la sépulture prévue pour le pharaon ne devait pas être prête. Il sera le dernier représentant de l’épisode atoniste. A sa mort, trois ans plus tard, c’est le général Horemheb qui accède au trône. Le fossoyeur de la XVIIIe dynastie.

Horemheb accueilli par Horus et Anubis