134 colonnes à la une
Article mis en ligne le 7 avril 2009

Sur le site de Karnak, en Égypte, vient de s’achever une importante
campagne de relevés photographiques, conduite par Emmanuel Laroze,
architecte au CNRS, et le Centre franco-égyptien d’études des temples
de Karnak (CFEETK). Ce travail d’équipe [1], qui a nécessité
l’utilisation de techniques de pointe, va permettre pour la première
fois d’examiner dans leur intégralité les décors des 134 colonnes de la
grande salle hypostyle.

Karnak : trois sanctuaires au cœur de Louxor, anciennement Thèbes, capitale de l’Égypte pharaonique. Dans l’un de ces temples : la célèbre salle hypostyle [2]. , où se dressent 134 colonnes avoisinant pour les plus hautes les 20 mètres. « L’ensemble est grandiose, et la densité des décors gravés dans la pierre sur ces colonnes est saisissante, s’émerveille Emmanuel Laroze, architecte au laboratoire « État, religion et société dans l’Égypte ancienne et en Nubie » [3] . Toutes ces gravures relatent l’histoire de ce lieu transformé successivement par huit pharaons. » Karnak fut en effet le centre religieux de l’Égypte dès le Moyen Empire (environ 2 100 av. J.-C.) et pendant près de vingt siècles.

© A. Chéné/CNRS/CFEETK n° inv. 102658
Vue générale du grand temple d’Amon-Rê à Karnak. Le temple d’Amon est un ensemble imposant dont les agrandissements se sont étalés sur vingt siècles, durant le règne d’une trentaine de pharaons.

Pour la première fois, vient d’être effectué un relevé exhaustif des scènes religieuses et des écrits figurant sur les colonnes de ce temple consacré au dieu Amon-. Longtemps secondaire, maître de l’air et du souffle, ce dieu est associé au soleil, et il prend de l’importance durant le Moyen Empire jusqu’à devenir le socle du Nouvel Empire. La documentation amassée, puis une analyse détaillée seront un excellent moyen de comprendre l’organisation et les techniques de construction de la salle et de conserver l’information. En effet, les éléments architecturaux se dégradent de plus en plus vite. Les responsables ? La pollution, les remontées salines qui gangrènent le grès, les violents chocs thermiques quotidiens ou bien les détériorations que peuvent engendrer 6 000 visiteurs qui se pressent chaque jour pour découvrir les lieux.

© E. Laroze/CNRS Photothèque
Détail d’un morceau de décor présenté à plat. L’ensemble des décors des colonnes constitue une sorte d’abrégé des scènes gravées sur les murs de la salle et représente différentes phases du culte divin (scènes d’offrandes…). Chaque scène comporte une ou plusieurs divinités comme Amon-Rê, patron de la royauté égyptienne.

C’est en 2005, après l’obtention du prix de l’Institut de France, que le projet d’Emmanuel Laroze voit le jour. Son objectif est au départ de poursuivre le travail d’inventaire, d’archivage et de documentation de la salle hypostyle réalisé par ses prédécesseurs. Après s’être attelé aux parois périphériques, il s’intéresse de près aux colonnes. « Jusqu’à présent, observe l’architecte, il n’y avait pas eu de relevé complet car le fait que les colonnes soient rondes constituait un obstacle à l’utilisation des outils traditionnels – relevés manuels sur plastiques, photographie, etc. »
Pour contourner ces difficultés, l’équipe s’est appuyée sur deux techniques de pointe. La première est le scannage en 3D. Grâce à elle, les chercheurs ont pu créer un modèle numérique de la salle en trois dimensions. Il s’obtient grâce à l’acquisition et à l’enregistrement en quelques minutes de plusieurs millions de points tridimensionnels avec une précision de l’ordre de quelques millimètres. Grâce aux données recueillies, les égyptologues pourront par exemple accéder virtuellement à des parties inaccessibles sur place, ou reconstituer avec exactitude un élément de la colonne qui serait endommagé ou détruit. Surtout, cela leur évitera de retourner sur le terrain pour effectuer de nouvelles mesures.

© Atm3d/CFEETK/CNRS Photothèque
Vue d’ensemble des modèles 3D de certaines colonnes de la salle. L’enregistrement d’environ six millions de points par colonne et leur rattachement à des coordonnées géographiques ont été nécessaires pour recomposer en totalité ou partiellement l’image de la salle hypostyle.

Quant à la seconde méthode, dite de « photogrammétrie » [4], elle consiste à obtenir une couverture photographique exhaustive des parois des colonnes, qui seront ensuite appliquées sur la surface scannée. Lors de cette mission, les prises de vue ont été réalisées à l’aide d’une perche de 8 mètres sur laquelle quatre appareils photographiques étaient fixés à des hauteurs différentes. Un ordinateur, installé à la base du mât, contrôlait le cadrage et assurait le déclenchement simultané des quatre appareils. Plus de 4 000 images ont été enregistrées. « La tâche était colossale, se souvient Emmanuel Laroze, puisqu’il s’agissait de photographier avec une définition suffisante et en un temps record la totalité des décors. Soit au total près d’un hectare et demi de décors en un mois. » Tout ceci sans tenir compte des contraintes pratiques comme le manque de recul ou l’éclairage. Dans une journée, la lumière ne cesse de varier. C’est pourquoi tous les clichés ont été faits dans l’ombre et sont actuellement retravaillés sur ordinateur.
Si les missions de terrain sont à présent terminées, une nouvelle aventure et un gros travail, que ce soit de traitement des données ou d’assemblage de la mosaïque d’images, par exemple, commencent. Un long chemin reste à parcourir avant que l’ensemble des décors ne soit mis à plat et étudié. Peut-être les colonnes de la salle hypostyle auront-elles bientôt des mystères à nous révéler ? Encore un peu de patience.