Le « Diagramma » de Cyrène
Article mis en ligne le 13 octobre 2013
dernière modification le 17 janvier 2014

C’est aux alentours de 640-630 que des colons grecs venus de Théra, cité située sur une petite île du sud des Cyclades, fondèrent Cyrène, dans l’actuelle Libye. D’après le témoignage d’Hérodote, les colons, sous la conduite d’un certain Battes, tâtonnèrent un peu avant de se fixer définitivement sur le site de Cyrène. Dès lors, la fondation, qui avait reçu la « bénédiction » de l’oracle de Delphes, prospéra rapidement et fit école. De nouvelles colonies grecques furent fondées le long de la côte.

Alors que la Cyrénaïque était toujours restée in¬dépendante vis-à-vis de sa puissante voisine, l’Egypte, l’arrivée des Perses changea cette situation. De gré ou de force, les Libyens, ainsi que les Grecs établis dans la région, se soumirent à l’autorité du Grand Roi et furent incorporés à la satrapie d’Egypte, du moins pour ce qui était du tribut. Aussi, quand en 332, Alexandre « libéra » l’ancienne terre des pharaons, il « libérait » par la même occasion la Libye du joug perse. C’est donc assez naturellement que Ptolémée Ier ne tarda pas à s’intéresser de près à cette région, dont il considérait qu’elle revenait de droit au maître de la vallée du Nil, bien qu’elle n’eût pas été véritablement conquise par Alexandre.

La rédaction du « Diagramma » de Cyrène

Sitôt nommé satrape d’Egypte, Ptolémée intervint dans les affaires de la Cyrénaïque, déchirée par les rivalités entre les différentes cités grecques. A Cyrène, les conflits avec l’extérieur s’étaient même doublés d’un climat de guerre civile, qui avait permis aux démocrates de s’emparer du pouvoir au détriment des aristocrates, dont un certain nombre, exilés, avaient trouvé refuge auprès de Ptolémée. Pressé par ces derniers, le souverain lagide intervint personnellement à Cyrène dès 321 et y installa un gouverneur fidèle, Ophellas, qui ne put néanmoins éviter en 312-313 une nouvelle révolte, laquelle fut écrasée par une nouvelle expédition militaire. Quand Ophellas fut assassiné par Agathoclès de Syracuse, avec qui il s’était allié contre Carthage, il fut remplacé, à une date qui reste discutée, peut-être en 301, par Magas, le beau-fils de Ptolémée. Dans l’intervalle, certaines sources font mention d’une autre sécession de Cyrène, sans qu’on puisse en savoir davantage.

Quoi qu’il en soit, c’est lors d’un de ces épisodes, certainement le premier, que Ptolémée octroya aux Cyrénéens une Constitution connue sous le nom de « Diagramma de Cyrène ». Conçue sur le modèle d’autres règlements similaires promulgués par Alexandre, cette sorte de loi cadre fixe le statut constitutionnel de Cyrène, en garantissant au Lagide une influence légale dans le gouvernement de la cité.

Port de Théra d’où partirent les premiers colons de Cyrène

Les dispositions du « Diagramma de Cyrène »

Les premières lignes de l’inscription, malheureusement très fragmentaire, surtout dans sa partie finale, visent à redéfinir ceux qui pourront désormais bénéficier des droits de citoyen, civils et/ou politiques. Tous ne peuvent en effet prendre part aux responsabilités politiques, réservées aux hommes âgés de plus de trente ans et disposant d’une fortune mobilière ou immobilière dont le montant, plus élevé dans le premier cas, est défini par la Constitution. Il s’agit donc d’un régime oligarchique à caractère gérontocratique, comme le confirment aussi les conditions d’accès aux conseils et aux magistratures. Pour pouvoir entrer au Conseil, composé de cent membres tirés au sort parmi les citoyens « actifs », les Dix Mille, il faut en effet avoir plus de cinquante ans, ou au moins quarante si les quinquagénaires ne sont pas assez nombreux. Par ailleurs, il existe un conseil des Anciens, jouissant sans doute de pouvoirs assez étendus, dont les membres siègent à vie. De même, les principales magistratures, comme la stratégie, ne peuvent être revêtues que par des quinquagénaires, à l’exception des membres du conseil des Anciens. La fin du texte conservé évoque d’une part la procédure judiciaire pour les causes capitales, d’autre part,des restrictions pour l’accès à certaines magistratures.

Ptolémée Ier Soter

Ptolémée Sôter : une influence légale dans le gouvernement de Cyrène

Bien que Ptolémée Sôter ait profité des troubles intéieurs de Cyrène pour intervenir en faveur des membres de l’oligarchie qui lui étaient attachés, il ne pouvait néanmoins pas en 321 - alors qu’il n’était encore que satrape et non roi d’Egypte - imposer sa domination sur la cité de manière trop autoritaire. Aussi se posa-t-il habilement en médiateur, s’accordant dans la nouvelle Constitution des pans importants d’intervention, tout en laissant officiellement le pouvoir aux Dix Mille.

Ptolémée est ainsi désigné stratège viager. Autrement dit, il est le véritable maître des forces armées et de la diplomatie de Cyrène, dans la mesure où ses collègues ne sont élus que pour un an et ne sont pas rééligibles. Une garnison égyptienne est du reste vraisemblablement can¬tonnée dans la cité. La Constitution précise en outre d’autres domaines d’intervention pour le Lagide dans la vie politique de la cité, comme la désignation des citoyens ou certaines questions judiciaires concernant en particulier les exilés. De même, il est prévu que les premiers membres du conseil des Anciens seront nommés par Ptolémée.

Alexandre le Grand