Iâh-Hotep
Libératrice de l’ Egypte
Article mis en ligne le 20 juillet 2020
dernière modification le 20 juin 2020

L’occupation Hyksôs

Pendant plus de deux siècles, de 1785 à 1570 av. J.-C. les Hyksôs occupèrent le nord de l’Egypte. Les égyptologues baptisèrent cette époque « deuxième période intermédiaire » ; son étude se révèle ardue, en raison de la pauvreté de la documentation. Le processus dynastique ne s’interrompt pas, mais aucun monarque d’envergure ne s’impose ; les Hyksôs eux-mêmes se conforment à la titulature pharaonique, comme s’ils désiraient être admis par la population. Les « monarques « sont nombreux, les règnes brefs, un chef de clan chasse l’autre. Certains chefs de province, cependant, gardent leur indépendance ; la Haute- Egypte demeure libre, les Hyksôs ne parviennent pas à s’en emparer. De la Xllle dynastie à la fin de la dix-septième, le pays est coupé en deux. Certains collaborèrent avec l’occupant, d’autres refusèrent obstinément sa présence. Il est d’ailleurs difficile d’appréhender la nature même de cette occupation. pour les uns, les Hyksôs furent des barbares cruels ; pour les autres, ils se plièrent au mode de vie égyptien, avec l’espoir de s’imposer à la longue. Quoi qu’il en soit, ils ne devinrent pas populaires. Peu avant 1570, la situation se modifia. Une femme exceptionnelle, Iâh-Hotep, ne toléra plus cette main-mise étrangère qui ruinait l’Egypte et décida de tout mettre en oeuvre pour la libérer

guerre inspirée par le dieu-lune

Fille du roi Taâ 1er et de la reine Tétishéri, qui fut peut-être la première a prôner la reconquête, Iâh-Hotep porte un nom significatif : « Le dieu-lune (Iâh) est en guerre ». Le mot « lune », en ancien égyptien, est masculin ; le « soleIl de la nuit », rempli de magie et souvent comparé à un taureau, est un combattant redoutable. Par son nom, la reine annonce son programme politique : d’abord la guerre (Iâh), ensuite la paix (hotep), lorsque la victoire a été obtenue. Iâh-Hotep est une Thébaine. Thèbes, petite cité du sud de l’Egypte, fédère les résistants ; et c’est le mari de la reine, le roi Séqenenrê, « Celui qui accroît la bravoure pour la lumière divine », qui prend la tête de l’armée de libération et se lance à l’attaque des Hyksôs. Nous ne connaissons ni le nombre de soldats engagés dans l’action, ni les épisodes du conflit ; mais il se termina par la mort de Séqenenrê. Sa momie, en effet, porte les traces de plusieurs blessures fatales. Iâh-Hotep est veuve. Mais il lui reste deux fils Kamosis et Ahmosis. Le nom de Kamosis, « la puissance est belle », est suivi d’un guerrier tenant un bâton. c’est dire que la reine lui insuffla la volonté de poursuivre l’œuvre de son père et de continuer la guerre. De fait, l’élan ne s’interrompit pas mais un nouveau problème surgit. Conscient de la détermination des troupes thébaines les Hyksôs cherchent à provoquer une révolte en Nubie . si les Nubiens devenaient leurs alliés, Thèbes serait prise au centre de deux feux : les Hyksôs au nord, les Nubiens au sud. Une seule solution : attaquer. Pendant que Kamosis fonce vers le nord, reprenant aux Hyksôs ville après ville, Iâh-Hotep se préoccupe de fortifier la frontière sud à Eléphantine. Les Nubiens ne passeront pas, le projet d’alliance avec les Hyksôs échouera. Kamosis remporta plusieurs victoires, mais ne parvint pas à s’emparer de la capitale fortifiée des Hyksôs, Avaris, où les derniers asiatiques avaient trouvé refuge. Il revint à Thèbes ou il fut accueillit par Iâh-Hotep, qui gouvernait en son absence. Pourquoi Kamosis n’a-t-il pas poursuivi le siège ? Peut-être était-il blessé. Lorsqu’il disparut de la scène, le deuxième fils d’Iâh-Hotep n’était âgé que d’une dizaine d’années. La reine assuma donc la charge du pouvoir (elle régna sur un territoire de plus en plus vaste) sans perdre de vue le but final : la libération totale de l’Egypte. Les noms de son second fils sont éloquents : « Celui dont les transformations sont grandes, le taureau dans Thèbes, celui qui réunie les Deux Terres, la lumière divine ([Rê>52]) est le maître de la force. » En tant qu’Ahmosis, « Celui qui est né du dieu-lune [1] , il se plaça dans la continuité de l’activité guerrière de la reine.

L’Égypte est libérée

Dès qu’il fut en âge de commander et de combattre Ahmosis repartit pour le Nord, avec la ferme intention de s’emparer d’Avaris et d’expulser définitivement les Hyksôs hors d’Egypte. Une stèle, érigée par le roi à l’intérieur du temple de Karnak, met en relief le rôle difficile qu’eut à jouer Iâh-Hotep avant d’entrevoir la victoire. Sans doute tous les courtisans n’étaient-ils pas d’accord pour poursuivre la lutte, sans doute la reine dut-elle manifester courage et autorité pour réanimer les énergies défaillant. D’après le texte de cette stèle, il est clair qu’Iâh-Hotep se comporta en véritable [pharaon>89], prit elle-même les décisions et gouverna l’Egypte avec fermeté : Adressez vos louanges à la dame des rivages des contrées lointaines  [2], le nom est exalté dans chaque pays étranger, elle qui gouverne des multitudes, elle qui prend soin de l’Égypte avec sagesse, qui s’est préoccupée de son armée, qui a veillé sur elle, qui a fait revenir les fugitifs et rassemblé les dissidents, qui a pacifié la Haute-Egypte et soumis les rebelles [3] . Peut-on déduire de ces lignes qu’Iâh-Hotep mit fin une révolte militaire dans le sud et contrecarra une sorte de putsch ? Les avis divergent, mais il apparaît qu’elle fut un authentique chef d’armée, armée qui bénéficia de ses soins et de ses encouragements. Elle galvanisa les hésitants, donna une cohésion à ses troupes et y réintégra les soldats qui avaient déserté. On imagine la joie d’Iâh-Hotep lorsqu’elle apprit la chute d’Avaris. Son mari était mort au combat, son fils aîné Kamosis avait rendu l’âme avant la victoire finale, son deuxième fils, Ahmosis venait de libérer la totalité du territoire égyptien et de réunifier les Deux Terres. Il devint le premier [pharaon>89] d’une nouvelle dynastie, la dix-huitième. Iâh-Hotep et Ahmosis ne se contentèrent pas de la prise de la citadelle haïe ; le roi poursuivit les vaincus en fuite, loin vers le nord, peut-être jusqu’à l’Euphrate. Et il n’oublia pas la redoutable tentative d’alliance qui avait failli compromettre le succès : après l’expulsion des Hyksôs, Ahmosis chassa de son trône un roitelet nubien convaincu de collaboration avec l’ennemi. De la pointe du Delta jusqu’à la Nubie, seul [pharaon>89] régnait.

Naissance d’une capitale

Jusqu’alors, la grande ville de l’Égypte des pharaons était [Memphis>36], « la balance des Deux Terres », implantée à la jonction du Delta et de la Vallée du Nil. Capitale fondée par l’illustre Djoser, [Memphis>36] n’avait pas de rivale. Mais qui venait de libérer l’Egypte, sinon une lignée de souveraines originaires de Thèbes ? Iâh-Hotep saisit l’opportunité et sut vanter les mérites d’Ouaset, « la cité du sceptre ouas (celui que tiennent les déesses) », nom sacré de Thèbes. La « ville aux cent portes », qui émerveilla Homère, est symbolisée par une femme et connut la gloire grâce à une femme. Sous l’impulsion d’Iâh-Hotep, Thèbes devint la capitale d’une Egypte libre, de nouveau maîtresse de son destin.

Une reine décorée comme un général

Femme énergique et vigoureuse, Iâh-Hotep mourut octogénaire, vénérée par la cour comme par le peuple. N’était-elle pas la libératrice, l’héroïne indomptable qui avait donné à l’armée le courage nécessaire pour chasser l’occupant ? Son fils, Ahmosis, présida aux cérémonies funéraires ; la reine fut inhumée dans un tombeau de Dra Abou el-Naga, un secteur de la nécropole de Thèbes-ouest [4]. L’égyptologue français Auguste Mariette fouilla la sépulture en 1859 et eut la chance de découvrir un trésor composé de bijoux de très belle facture, par exemple un bracelet en or massif, recouvert de lapis-lazuli ; il proclamait la reconnaissance d’Ahmosis comme [pharaon>89]. Autre merveille, un bracelet de perles enfilées sur du fil d’or et formé de bandes d’or, de lapis-lazuli, de cornaline et de turquoise. En le refermant, la reine assemblait des hiéroglyphes qui affirmaient la qualité d’Ahmosis comme « dieu accompli, aimé d’[Amon>8] », donc du dieu de Thèbes. Citons aussi un diadème représentant la déesse vautour Nekhbet, qui incarne à la fois la fonction maternelle et la capacité de donner une titulature ,et des noms à un [pharaon>89] : la reine n’avait-elle offert à l’Egypte deux rois, Kamosis et Ahmosis ? Trois objets surprenants soulignaient l’action guerrière de la grande reine. Un poignard à la lame d’or, une hache au manche de cèdre recouvert d’or sur lequel on voit le roi, sphinx et griffon, vaincre ses ennemis, et trois mouches d’or, qui récompensent d’ordinaire les généraux et les soldats qui se distinguent au combat par leur vaillance. A notre connaissance, aucune autre reine d’Egypte ne reçut cette décoration militaire, la plus haute que [pharaon>89] accordait à un brave. Ahmosis reconnaissait ainsi que l’inspiratrice de la guerre de libération était Iâh-Hotep. La reine avait mené à bien son projet : déployer la force du dieu-lune pour la lutte victorieuse contre les Hyksôs et pour rétablir la paix. Elle méritait ces trois mouches d’or, symbole de son courage indomptable et de sa ténacité au cœur de l’épreuve.