L’art égyptien au Nouvel Empire (1560-1070 av. J.-C.)
Article mis en ligne le 5 mars 2021
dernière modification le 19 février 2021

Le Nouvel Empire est la période d’accomplissement de la civilisation égyptienne : sur le plan politique (c’est l’époque de l’expansion en Afrique - jusqu’à la cinquième cataracte du Nil -, en Asie - jusque sur l’Euphrate -, en Égée, et du rassemblement d’un grand Empire riche et divers, aux innombrables ressources), comme sur le plan économique et dans le domaine artistique.

Architecture

L’architecture, aidée par des ressources puissantes, bâtit à nouveau en taille colossale, et ses constructions, qui disposent maintenant de l’immense « champ » thébain, s’étendent sur d’impressionnantes aires et s’adaptent résolument au site nouveau.

À Thèbes, sur la rive droite du fleuve, s’élèvent les châteaux des dieux ; sur la rive gauche, les demeures des morts. À l’est, le temple de Louxor, bâti par Aménophis III à la gloire d’Amon ; à quelques kilomètres plus au nord, le « monde » de Karnak, où les temples s’enchevêtrent sur la plus grande scène religieuse du monde : grand temple d’Amon, commencé par Aménophis III, dont la salle hypostyle (élevée sous Séti Ier et Ramsès II) couvre, à elle seule, une surface de 5 000 m2, pour une élévation de 24 mètres. Les sanctuaires divins acquièrent alors leur plan classique : pylône à deux tours rectangulaires (plus étroites au sommet qu’à la base) souvent précédé d’une allée de sphinx, cours ouvertes à colonnes papyriformes ou à piliers osiriaques, hypostyle à une ou plusieurs nefs, enfin la partie fermée du temple : comprenant les appartements du dieu, dont la pièce essentielle était la chapelle, avec la statue divine (portative) dans le naos ; sol et plafonds se rapprochant progressivement, l’un s’élevant, les autres s’abaissant, à mesure que l’on s’avançait vers la chapelle : jeu de lumière (de l’étincellement du jour à l’ombre mystérieuse qui entourait le lieu saint), mais aussi allusion théologique au tertre surélevé sur lequel le démiurge apparut au premier jour.

À l’ouest, à la limite des cultures riveraines et du désert, les temples funéraires royaux : temple funéraire d’Hatshepsout à Deir el-Bahari, qui, sur le sable roux, échelonne les portiques de ses trois terrasses superposées, jusqu’au flanc de la falaise à laquelle il s’adosse et dont il constitue, en un grandiose ensemble « naturel », comme l’accès monumental. Les tombes royales (caveaux) sont, à partir d’Aménophis Ier, séparées du temple funéraire et creusées dans la falaise même (qui joue le rôle protecteur de l’ancienne pyramide), au cœur d’une gorge aride, la vallée des Rois : quelques salles à piliers, décorées de bas-reliefs et de peintures, précèdent un couloir descendant et des escaliers consuisant à la « chambre d’or » où était le sarcophage. Pour les tombes civiles (on en a retrouvé plus de 470 sur la rive gauche), la superposition immédiate chapelle-caveau (tous deux en hypogée) demeure la règle (tradition du Moyen Empire), les chapelles pouvant être précédées de vestibules ou galeries à portiques soutenus par des piliers ou des colonnes, l’ensemble décoré de vives peintures ; au fond, dans une niche, la statue du mort.

Tout au long de la vallée, les temples se multiplient : à Abydos, temple consacré par Séti Ier à Osiris ; à Abou Simbel (autre exemple d’adaptation au site), Ramsès II fait élever deux temples rupestres (l’un à la gloire du dieu solaire, l’autre pour Hathor), creusés, face au Nil, dans le grès même de la montagne occidentale ; à la façade du grand temple s’adossent deux colosses royaux hauts de 20 mètres.

Des temples-palais (celui de Ramsès III à Medinet-Habou) empruntent leurs enceintes crénelées à l’architecture militaire, voire, aux forteresses syriennes, le migdol à trois étages. Mais les palais mêmes (en briques crues) ont été détruits.

Statuaire

L’art du Nouvel Empire est lié étroitement à l’histoire et à son déroulement ; la statuaire aussi en témoigne, qui relève d’abord du style traditionnel d’inspiration memphite : élégant allongement des corps harmonieux, contours « fondus » des représentations de la reine Hatshepsout trônant (New York), de Thoutmosis III en offrant (Le Caire) ; mais les types sont différents : voir l’admirable réalisme du visage de Thoutmosis III, le conquérant de l’Empire, et la majesté lyrique de son attitude triomphale (Le Caire).

À partir de Thoutmosis IV, surtout sous Aménophis III, l’Égypte s’abandonne à la jouissance des richesses acquises et s’ouvre largement aux influences étrangères, conséquence de son hégémonie dans le Proche-Orient : les artistes de la cour thébaine développent un style aux lignes distinguées, mais souples et molles - grâce, parfois languide, des innombrables statuettes féminines en bois (Louvre, Le Caire, Berlin) ; le raffinement des couturiers (qui créent les longues tuniques transparentes finement plissées à courtes manches), la science des perruquiers, l’art des bijoutiers trahissent une période d’un luxe exceptionnel, souvent typiquement oriental (statue d’Aménophis III à la robe asiatique, Le Caire).

Réagissant contre cet amollissement, c’est l’intermède d’Aménophis IV, dont le court règne de quatorze ans va vouloir tout bouleverser au nom d’une idéologie qui refuse tout académisme et repousse toute tradition, pour prêcher violemment le libre retour à la nature ; épisode unique, auquel nous devons ces extraordinaires statues-caricatures du roi, exhumées à Karnak par Chevrier : masque chevalin, bras grêles, poitrine squelettique, ventre ballonné, hanches féminines, qui trahissent vraisemblablement des particularités physiques du souverain, mais aussi son souci de les accentuer maladivement.

Au style « adouci » de la période, nous devons ces émouvants portraits de Néfertiti, dont la beauté grave justifie ce désir de « naturel » (Le Caire, Berlin, Bruxelles).

Contre ces excès, la tradition l’emporte à nouveau : mais une certaine langueur « amarnienne » transparaît encore sur le visage de Toutankhamon (Le Caire) ou dans l’attitude du général-roi Horemheb (New York).

Avec la XIXe dynastie et le retour des guerres victorieuses, le style statuaire retrouve quelque grandeur plus dépouillée : noblesse de Ramsès II(Turin), dont la figure témoigne d’une grande virtuosité d’exécution ; mais la technique impeccable, le sourire un peu figé de ces œuvres d’un art achevé touchent moins. L’art égyptien achève son premier grand cycle : empâtement et lourdeur des statues de Ramsès III.

Arts graphiques

Âge d’or de la peinture égyptienne, le Nouvel Empire unit, dans un style commun et une mise en oeuvre simultanée, bas-relief peint et peinture pure - vaste imagerie polychrome, relative, dans les tombes, non plus seulement à la vie quotidienne des hommes et à l’économie de la vallée, mais aussi aux événements historiques et politiques du vaste Empire. Les « styles » se diversifient selon les époques, suivant le mouvement historique déjà discerné, mais aussi suivant le génie individuel de personnalités d’artistes très nettes.

Archaïsme modéré et tradition assouplie des débuts de la XVIIIe dynastie : netteté et élégance des lignes, mais disposition des sujets plus sensible, caractéristiques aussi bien du défilé des porteurs d’offrandes du tombeau d’Amenemhat (no 82) - le centre léger de la composition, sur fond gris-bleu, est constitué par une délicieuse gazelle d’un rose tendre, ventre blanc, cornes bleu pâle, rond noir de l’oeil ; sujet émouvant, d’un dépouillement aérien, entre deux personnages de tradition - que de la grande série des bas-reliefs peints du temple funéraire d’Hatshepsout, relatant avec un vif souci de vérité et un goût certain de dépaysement une expédition au pays de Pount (Somalie) en quête des précieux arbres à encens.

Grande époque de la peinture sous les règnes d’Aménophis II et de Thoutmosis IV) se révèle dessinateur virtuose de la courbe, coloriste génial (inventeur du dégradé), qui, par lignes et tons, compose de véritables poèmes : telle La Mort de l’ibex (admirable fragment d’une scène de chasse au désert), qui oppose rudement la longue courbe accentuée du corps, qui déjà s’abandonne à la terre, à la brusque verticale ascendante des pattes antérieures et du cou de l’animal, qui livre un dernier combat contre le chien qui déjà lui happe la gorge ; la ligne haute traduit superbement la férocité du combat et l’ultime élan de vie et de dignité de la bête au corps vaincu ; dans un ensemble de tons ocres et jaune vif, qui oppose à la cruauté de la mort l’intensité vivante de la lumière. - Goût du pittoresque chez le maître de Nakht (tombe no 52) et le maître de Menna (tombe no 69), aux coloris éclatants, aux sujets humains débordants de vie ; chez Nakht, Le Repos des moissonneurs est un tableau de genre, émouvant et sensible : à l’heure chaude du jour, un moissonneur s’est endormi à l’ombre d’un sycomore (la courbe complice d’une branche épousant parfaitement l’arc du dos de l’homme qui se repose à l’ombre), cependant qu’appuyé, droit, contre le tronc, un flûtiste joue indolemment dans cette nature amie ; scène « virgilienne », jeu de lignes et d’attitudes parfaitement clair et pur. - Exotisme du maître d’Horemheb (tombe no 78) : son dessin, hautement décoratif, réduit aux lignes essentielles, campe plaisamment Nubiens et Nubiennes, et fait vibrer le corps frénétique du danseur nègre. - Avec le maître de Nebamon, la peinture égyptienne atteint à un sommet ; La Chasse dans les marais est un merveilleux tableau (actuellement au British Museum) : opposant, dans la partie droite, les calmes et solides verticales qui définissent l’ordre humain, stable et discipliné, autour du maître et de sa famille (la flore prend, dans les bras de la femme, la forme sage d’un savant bouquet monté), au mouvement tourbillonnant, indescriptible (dans la partie gauche), de la flore et de la faune sauvages tout en courbes, en spirales, en obliques ; la liaison étant faite entre les deux parties par la vaste horizontale (trait d’union) des bras haut levés du chasseur : lignes intelligentes qui traduisent l’ordre du monde, soutenues par une polychromie sans rivale, utilisant trois nouveaux tons de gris, le carmin, le rose..., sachant traduire l’éclat nacré des ailes de papillons ou la luminosité subite animant une corolle.

Sous Aménophis III, l’art du bas-relief à nouveau prospère ; voir notamment (outre le temple de Louxor) la série qui décore la tombe du vizir Ramose : le charme certain, la beauté pure des visages et des corps ne vont pas sans une certaine mièvrerie, parfois une délicatesse un peu efféminée.

La volonté amarnienne de « retour à la nature » se traduit dans de très beaux bas-reliefs : champ de blé, vignes aux raisins mûrs (coll. Schimmel, New York), parterre de fleurs (Brooklyn Museum), et dans des peintures d’une grande hardiesse :

tableau monochrome des Petites Princesses au coussin rouge (utilisant uniquement le vermillon et le rouge mat) ; un martin-pêcheur, en vol plongeant dans les marais, est traité uniquement en noir et blanc sur fond vert sombre.

À la fin de la XVIIIe dynastie, c’est l’école memphite qui renoue avec la tradition en créant les bas-reliefs qui décorent la tombe du général-roi Horemheb (Louvre, Leyde, Brooklyn, Le Caire). Sous les Ramessides, les styles se diversifient suivant la nature et l’origine des œuvres d’art ; art idéaliste des scènes religieuses, au temple d’Abydos notamment : pureté absolue des lignes et recherche à l’extrême d’une harmonie suggèrent la sérénité et la pérennité d’un monde éternel. Savante composition et fougue superbe des scènes royales : Ramsès III sur son char, à la chasse aux taureaux sauvages, ou, emporté dans un élan guerrier, massacrant les Asiatiques (Medinet-Habou). Vivacité et beauté de la décoration des tombes privées : le maître d’Ouserhat (tombe no 51), grand coloriste, utilise savamment dégradés et tons fondus, prête aux visages et aux corps une langueur charmante. La décadence s’amorce ; une certaine négligence dans le dessin, quelques bariolages de couleur, le passage du pittoresque au vulgaire marquent l’art de la fin du Nouvel Empire. On notera toutefois la fraîcheur de la spontanéité des esquisses d’artistes sur ostraca (tessons de calcaire).

Arts mineurs

L’afflux des richesses contribue à l’intense développement des industries de luxe : en témoignent, notamment, le mobilier des tombes (telle celle de Toutankhamon), le répertoire varié et précieux des objets de toilette (réceptacles à fard, miroirs) et le merveilleux trésor de la joaillerie.