Les naissances miraculeuses
Article mis en ligne le 22 avril 2022
dernière modification le 19 avril 2022

Le mythe du roi-dieu fut très tôt élaboré par la pensée égyptienne. Ses aspects, multiples, satisfaisaient, d’une part, une conscience religieuse particulièrement fervente, d’autre part un attachement profond à t’idée monarchique : les conditions géographiques naturelles du pays exigeaient, en effet, pour garantir une vie sociale et économique harmonieuse, un pouvoir central fort. L’origine et la naissance de Pharaon, d’abord, relèvent de ce mythe. Le dieu culminant du panthéon - ou Amon, suivant l ?époque - s’incarnait parfois naturellement dans une femme (l ?épouse d’un prêtre parfois, beaucoup plus souvent la reine) pour donner la vie au futur roi ; l’ascendance divine de celui-ci légitimait son pouvoir, sans contestation possible, sur le peuple d’Égypte. Cet acte, sacré à l ?origine, connut de nombreuses « utilisations » politiques : certaines difficultés dynastiques, ou certaines usurpations, trouvèrent ainsi, avec l ?appui du clergé en cause, une solution satisfaisante. C’est en Égypte que ces légendes mythiques sur l’origine sacrée du roi connurent leur plus grand accomplissement.

Aux sources de la Veme dynastie

Un jour, il arriva que Redjedet fût prise de douleurs, son accouchement était difficile. Alors la Majesté de , seigneur de Sakhebou, dit à Isis , Nephthys , Meskhenet, Heket et Khnoum : « Hâtez-vous donc, afin d’aller délivrer Redjedet des trois enfants qui restent en Son sein et qui, dans l’avenir, exerceront cette illustre et bienfaisante fonction dans ce pays tout entier ; ils bâtiront les temples de vos villes, ils approvisionneront vos autels, ils enrichiront vos tables à libations, ils augmenteront la quantité de vos divines offrandes. » Alors ces déesses partirent, après avoir accompli leur transformation en danseuses ; Khnoum était avec elles, chargé du bagage. Elles atteignirent la maison de Ouserrê, et le trouvèrent le pagne en grand désordre ; elles firent pour lui alors une offrande musicale avec leurs colliers menat et leurs sistres ; il leur dit : « Mes nobles dames, voilà que ma femme souffre, car son accouchement est difficile. » Elles lui dirent : « Permets que nous la voyions, car nous savons effectuer une délivrance. » Il leur dit : « Allez donc » ; elles pénétrèrent alors auprès de Redjedet, et fermèrent la chambre autour d’elle. Isis se plaça en face de Redjedet, Nephthys derrière elle, cependant que Heket accélérait la naissance. Isis prononça ces paroles : « Ne sois pas trop puissant en son sein, en ce tien nom de Ouserkaf » ; cet enfant glissa alors sur les mains d’Isis , un enfant long d’une coudée : ses os étaient durs, ses membres étaient revêtus d’or, sa coiffure était en lapis-Iazuli véritable ; elles le lavèrent, après avoir coupé son cordon ombilical, et le placèrent sur une étoffe de lin, en guise de coussin ; Meskhenet s’approcha de lui, disant : « Voici un roi qui exercera la fonction royale dans ce pays tout entier », cependant que Khnoum rendait ses membres vigoureux. [Le même rituel et les mêmes paroles sont répétés de manière absolument identique pour les deux autres enfants, Sahourê et Neferirkarê (2e et 3e rois de la Ve dynastie).] Puis ces déesses sortirent, après avoir délivré Redjedet des trois enfants. « Que ton coeur soit heureux, Ouserrê, voilà que trois enfants ont été mis au monde pour toi. » Il leur dit : « Mes nobles dames, que puis-je faire pour vous ? Ah ! Donnez donc ce sac d’orge à votre porteur de bagage, prenez-Ie pour vous afin de pouvoir négocier de la bière », et Khnoum se chargea du sac. Elles se rendirent alors au lieu d’où elles étaient venues, lorsque Isis leur dit : « Mais qu’est-ce là, nous voici revenues sans avoir accompli de choses merveilleuses pour ces trois enfants, des choses que nous aurions pu raconter à leur père, qui nous a dépêchées. » Alors elles façonnèrent des couronnes de Seigneur Vie-Santé-Force, et elles les placèrent dans le sac d’orge ; elles firent venir dans le ciel le vent et la pluie, puis retournèrent vers la maison de Ouserrê, disant : « Placez ici ce sac d’orge, dans une pièce bien close, jusqu’à ce que nous revenions de danser du nord » ; et elles placèrent le sac dans une pièce bien close.

Redjedet se purifia pendant une période de quatorze jours. Puis elle dit à sa servante : « Est-ce que cette maison est suffisamment approvisionnée ? » - la servante dit : « Elle est pourvue en toutes sortes de bonnes choses, excepté en vases, on n’en a pas apporté. » Redjedet dit alors : « Pourquoi donc n’a-t-on pas apporté de vases ? » - la servante : « C’est qu’il n’y a pas de quoi faire [de la bière] ici, mis à part le sac de ces danseuses, qui se trouve dans une pièce qu’elles ont scellée. »

Alors Redjedet dit : « Va, apporte [de l’orge] de ce sac, Ouserrê leur rendra l’équivalent lorsqu’elles seront revenues. » La servante se hâta ; elle ouvrit la chambre, alors elle entendit dans la pièce un bruit de louange, de chant, de danse et d’acclamation, tout ce qui est fait d’habitude pour un roi. Elle se dépêcha d’aller répéter à Redjedet tout ce qu’elle avait entendu ; celle-ci parcourut alors la pièce en tous sens, ne trouvant pas le lieu d’où ce bruit provenait ; lorsqu’elle posa sa tempe sur le sac, elle comprit que cela était produit à l’intérieur de celui-ci. Elle plaça alors le sac dans un coffret, mis lui-même dans un autre coffre, fermé avec un lien de cuir, et elle déposa le tout dans une pièce qui contenait les objets de son ménage et qu’elle scella. Lorsque Ouserrê revint des champs, Redjedet lui conta cette histoire. Alors le coeur de Ouserrê fut joyeux, grandement. Et ils se reposèrent, après ce jour heureux.

Trois jours après cet événement, une dispute s’éleva entre Redjedet et la servante, et Redjedet fit punir celle-ci en la frappant. Alors la servante dit aux gens de la maison : « Peut-elle faire cela, cela, alors qu’elle a mis au monde trois rois ? Je vais aller le dire à la Majesté du roi de Haute et Basse Egypte, Kheops, Juste-de-Voix. » Elle se hâta alors ; mais elle rencontra son frère utérin en train de lier une botte de lin sur l’aire ; celui-ci lui dit : « Où as-tu à faire, petite fille ? » Elle lui rapporta alors l’histoire, et le frère lui dit : « Venir devant moi, ainsi, est-ce chose à faire, comme si j’avais à me mêler de ces propos ? » Il se saisit d’une botte de lin et lui porta un mauvais coup ; la servante se hâta afin d’aller chercher pour elle une écuelle d’eau, mais un crocodile la happa. Cependant le frère se dépêchait afin de raconter cela à Redjedet ; il la trouva assise, la tête sur les genoux, le coeur triste, extrêmement ; il lui dit : « Ma noble dame, pourquoi es-tu de cette humeur ? »
Elle lui dit : « C’est cette petite, qui avait grandi dans la maison, voilà qu’elle est partie en disant : je vais dénoncer. » Alors il inclina la tête et dit : « Ma noble dame, elle s’est arrêtée en chemin pour me parler... auprès de moi ; je lui ai porté un mauvais coup, elle est partie alors pour puiser un peu d’eau, lorsqu’un crocodile l’a happée. »

[Ici s’arrête le manuscrit.]