Le droit Antique
Article mis en ligne le 27 mai 2022
dernière modification le 18 mai 2022

L’histoire de l’Égypte est connue à peu près sans interruption depuis le début du IIIe millénaire avant notre ère. Durant cette longue période, l’Égypte a connu des périodes de monarchie puissante et centralisatrice, d’autres au contraire d’affaiblissement du pouvoir royal, parfois de dynasties parallèles et de morcellement de l’autorité dans une sorte de féodalité. L’activité économique et les structures sociales, parfois même familiales, ont subi les contrecoups de ces alternances politiques. À partir du VIIe siècle avant J.-C., l’Égypte passe sous la domination successive des Assyriens (671-663), des Perses (525-332), d’Alexandre (322-323). Elle retrouve son indépendance, mais sous l’autorité de princes d’origine grecque, avec la monarchie des Ptolémées (305-31), pour être finalement incorporée à l’Empire romain (bataille d’Actium, 31 av. J.-C.). Par cette très longue histoire et sa diversité, l’Égypte offre à l’historien des institutions un champ d’investigation incomparable. Malheureusement, son droit reste très mal connu. L’Égypte ne nous a laissé aucun recueil juridique et à peu près aucune loi (quelques dispositions de droit pénal et surtout un papyrus non encore publié datant du IIIe siècle avant notre ère, mais reflétant un droit antérieur). Il y eut cependant des lois, que la légende fait remonter jusqu’à Ménès, le fondateur de la première dynastie (3000 env.) et, au premier millénaire, des codifications, dont les Grecs ont conservé le souvenir sous Bocchoris (720-715), Psammétik Ier (663-609), Amasis (568-528), Darius (519-505).

Notre connaissance du droit égyptien repose donc essentiellement sur des documents de la pratique, rares pour l’époque ancienne, abondants avec les papyrus démotiques, surtout après le Ve siècle avant J.-C. Des récits, des documents figurés, des « livres de sagesse » permettent aussi de restituer certains aspects de la vie juridique. La rareté des documents juridiques, l’insuffisante précision des autres sources d’information ne permettent pas de restituer le droit égyptien et l’on n’aperçoit, souvent de façon imparfaite, que les structures sociales et la vie familiale.

Structures sociales

L’autorité absolue du pharaon fait de tous les habitants de l’Égypte des sujets. Seuls participent à la vie politique et à l’administration publique ceux qu’appelle ou retient la confiance ou la faveur royale. Dès la plus haute antiquité, le personnel de gouvernement et d’administration est important. Les recensements, les contrôles, les enquêtes exigent un personnel abondant et hiérarchisé. Sa tâche essentielle est d’assurer la mise en valeur de la mince bande fertile de la vallée du Nilet celle du Delta, et de percevoir redevances et impôts au profit du pharaon. Favoris et fonctionnaires sont rémunérés par le pharaon, le plus souvent sous forme de concessions de terres, sur lesquelles ils s’érigent en maîtres indépendants, créant ainsi un régime seigneurial qui mine l’autorité du souverain. Ils jouissent également de privilèges (exemptions fiscales, juridictions spéciales). À certaines époques (Ve et VIe dynasties par exemple), l’hérédité des fonctions et des privilèges s’établit.

Le clergé tient une place considérable et, à certaines époques, il met la royauté en tutelle. Les temples possèdent, en effet, d’immenses domaines fonciers, régulièrement accrus par les libéralités du pharaon et de simples fidèles. D’autre part, la désignation du pharaon fournit au clergé, et surtout au grand prêtre d’Amon, depuis le Moyen Empire (à la fin du IIIe millénaire), l’occasion de jouer un rôle politique parfois décisif. En effet, si la transmission du pouvoir obéit en général au jeu du principe de la succession dynastique, la désignation de l’élu requiert une manifestation de la divinité, dont les prêtres sont les interprètes. Ce qui fit parfois du grand prêtre d’Amon un « grand électeur ».

La masse de la population est constituée par la foule des petits paysans libres, des artisans des villes, des commerçants. Beaucoup travaillent pour le pharaon, les temples, les grands propriétaires dont ils dépendent en fait. Leur situation est souvent misérable. Mais l’Égypte ignore un système de castes qui maintiendrait chaque individu dans sa condition. L’énergie, l’habileté permettent une promotion sociale qui conduit aux plus hauts emplois. Un fonctionnaire peut ainsi faire graver sur une stèle votive : « J’étais de ceux dont la famille était pauvre et la ville petite, mais le roi me reconnut [...] et m’introduisit parmi les princes. »

L’esclavage n’est pas attesté pour l’Ancien Empire (3000-2350). Mais les prisonniers de guerre, dont la situation ne diffère guère de celle des esclaves, sont utilisés par le pharaon à l’exploitation des mines, des carrières, des domaines royaux et aux grandes constructions. Si l’existence des esclaves reste douteuse pour le Moyen Empire, elle est certaine pour le Nouvel Empire et persiste à l’époque saïte. Les esclaves sont fournis par la guerre et par les marchands qui approvisionnent des marchés spécialisés. Mais on n’a pas d’exemples d’esclaves égyptiens. Le nombre des esclaves ne fut d’ailleurs jamais considérable ; la plupart appartenaient au roi. On connaît quelques cas d’affranchissement. L’esclave semble avoir bénéficié d’une certaine protection contre les excès d’autorité de son maître.

Organisation familiale

Aussi loin que remonte notre information sur la vie familiale, elle témoigne d’une organisation très évoluée. C’est que l’Égypte avait un long passé lorsqu’elle apparaît dans l’histoire au début du IIIe millénaire. Sous l’Ancien Empire, l’individualisme triomphe. Puissance paternelle et autorité maritale sont limitées. La femme et les enfants jouissent d’une capacité juridique propre. Mariée ou non, la femme peut passer des actes juridiques, plaider, servir de témoin dans les actes. Les conditions et les formes du mariage sont mal connues pour l’époque ancienne, car on ne dispose pas de témoignages précis antérieurs à la XXe dynastie (XIIe s. av. J.-C.). Mais le mariage semble bien avoir été, dès l’époque ancienne, monogame. Il l’est en tout cas, malgré l’affirmation contraire de Diodore de Sicile, à l’époque récente. Si le mariage entre frère et soeur n’est attesté que tardivement, et essentiellement dans la famille royale, les mariages entre cousins, ou oncle ou nièce, sont en revanche fréquents. Le mariage est consensuel, l’accord intervenant entre le futur mari et le père de la femme (ou même celle-ci, au moins depuis la XXVe dynastie). Les témoignages littéraires permettent d’affirmer la réciprocité des devoirs et des droits à l’intérieur de la famille, et souvent une remarquable douceur de m ?urs. L’exposition des nouveau-nés, que la Grèce pratiquera largement, n’est pas confirmée pour l’Égypte (le cas de Moïse s’explique par l’ordre du pharaon de faire mourir tous les nouveau-nés mâles des Hébreux). Le divorce est signalé par des documents depuis le milieu du VIe siècle. Il ne requiert pas de formes spéciales et il est souvent ouvert à la femme comme au mari. D’une façon générale, la situation de la femme, en Égypte, est très supérieure à celle que lui accorderont les droits de la Mésopotamie ou de la Grèce.

Le droit successoral est dominé par deux principes : celui de l’égalité dans la succession ab intestat, qui ignore les privilèges de masculinité et d’aînesse. Le droit d’aînesse apparaîtra sous le Nouvel Empire en raison d’une conception plus autoritaire et plus hiérarchisée de la famille. Cette évolution s’explique par la responsabilité du père ou, à son défaut, du fils aîné pour les prestations dues par la famille au pharaon. Les actes de disposition, assez profondément différents du testament romain, sont attestés au moins depuis la IVe dynastie. Ce sont des actes purement patrimoniaux, dépourvus de tout caractère religieux. Ils restent révocables jusqu’au décès du disposant et ne produisent effet qu’à cette date. Au cours de l’Ancien Empire, on voit de grands personnages constituer d’importantes fractions de leur patrimoine en domaines inaliénables et indivisibles, affectés au culte du défunt. Ces fondations culturelles témoignent d’une technique juridique déjà fort savante, mise au service de préoccupations religieuses. Le testament, qui avait persisté jusqu’à la fin du Nouvel Empire, semble avoir disparu dans la période troublée du début du Ier millénaire, par suite d’une plus grande rigidité des structures familiales. À l’époque saïte, la transmission des biens à un héritier de son choix exige une adoption préalable qui le fait entrer dans le cadre familial.

Organisation judiciaire

L’absolutisme du pharaon fait de lui le maître de la justice. Dieu ou fils de Dieu, il dit le droit. Mais cette toute-puissance n’est pas source d’arbitraire. Sous l’Ancien Empire, le pharaon est présenté comme exprimant le droit que lui inspire la déesse de la justice et de la vérité. Des textes du Moyen Empire insistent sur l’obligation, pour le pharaon, de respecter le droit. L’organisation judiciaire est mieux connue à partir du Nouvel Empire (XVIe-XIe s.). Le roi reste juge suprême. Lui seul peut prononcer une peine de mutilation. À côté de lui, le vizir, une cour de douze juges, des tribunaux locaux assurent la justice séculière. Mais le clergé prend une place croissante dans l’administration de la justice. Les carences de juges séculiers et le développement de l’ordalie sous les XIXe et XXe dynasties contribuent aux progrès de la justice sacerdotale. Vers 1250, une cour sacerdotale est créée à Thèbes. Elle devient rapidement la cour suprême du clergé à qui elle assure un privilège de juridiction. Dès l’Ancien Empire, la procédure est écrite (introduction de l’instance, exposé des moyens de défense, etc.), mais les débats ont lieu oralement. Écrits, témoignages, serments, ordalies constituent les principaux modes de preuves.