Témoignages de la vie quotidienne de l’époque, les très nombreux objets découverts dans les tombes égyptiennes de l’antiquité continuent de révéler leurs secrets. Certains de ces sites archéologiques contenaient de véritables coffrets de maquillage, avec miroirs, épingles à cheveux et récipients comprenant encore parfois des produits cosmétiques. Ces produits de maquillage, blanc, vert, gris ou noir, étaient essentiellement formulés avec des composés de plomb. Une équipe associant le Laboratoire de recherche des musées de France (CNRS-ministère de la Culture et de la Communication) et L’Oréal Recherche, en collaboration avec l’European Synchrotron Radiation Facility (ESRF) à Grenoble, vient d’étudier 49 flacons conservés par le Département des Antiquités égyptiennes du musée du Louvre. Elle a montré que deux composés, la laurionite PbOHCl et la phosgénite Pb2Cl2CO3 ne pouvaient qu’avoir été préparés par voie aqueuse ; les fines poudres blanches ainsi obtenues étaient ajoutées aux formulations des produits de maquillage. Les procédés de synthèse de ces deux composés ont été décrits par des auteurs gréco-romains au Ier siècle après J.-C. Ils servaient alors en particulier à soigner les maladies des yeux et de la peau et à laver les cheveux. Par ailleurs, différentes quantités de matière grasse étaient ajoutées aux poudres pour leur conférer des textures variables qui trouvent leurs équivalents dans les poudres libres, les fards à paupières et les crayons khôl d’aujourd’hui. Ce travail met en évidence que les hommes et les femmes ont élaboré depuis la plus haute antiquité des préparations variées pour notamment s’embellir et se protéger de l’environnement.

Les très nombreux objets découverts dans les tombes égyptiennes sont une extraordinaire source d’étude des coutumes de la vie quotidienne durant l’Antiquité. Les fouilles archéologiques de certaines tombes ont ainsi livré de véritables coffrets de maquillage qui contenaient des miroirs, des épingles à cheveux, des stylets et des récipients encore parfois remplis de produits cosmétiques. Les Egyptiens se maquillaient avec des cosmétiques blanc, vert, gris ou noir, principalement formulés avec des composés de plomb. Des échantillons de fard ont été prélevés dans des récipients en pierre (albâtre, hématite, marbre), céramique, bois ou roseau, flacons conservés au Département des Antiquités égyptiennes du musée du Louvre. Ils proviennent de plusieurs sites datés entre 2000 et 1200 avant J.-C. Comme dans toute analyse concernant les ’uvres d’art ou les objets archéologiques, les prélèvements ont été limités le plus possible, à 1 mm3 environ. Cette contrainte d’échantillon rare nécessite une adaptation des méthodes de caractérisation des matériaux, travail réalisé par l’équipe du laboratoire de recherche des musée de France (LRMF), au sein du Centre de recherche et de restauration des musées de France (C2RMF) dirigé par Jean-Pierre Mohen.

Les prélèvements sont dans un premier temps observés par microscopie électronique à balayage qui renseigne sur la morphologie et la composition chimique élémentaire des grains de la poudre. Des mélanges complexes de composés de plomb ont ainsi été observés, mais cette analyse élémentaire restait insuffisante pour reconnaître les phases minérales. C’est la diffraction des rayons X réalisée au LRMF qui a permis leur identification minéralogique. Cette même technique a été mise en ’uvre au Laboratoire pour l’utilisation du rayonnement électromagnétique (LURE), à Orsay, et à l’European synchrotron radiation facility (ESRF, Grenoble) pour bénéficier de la brillance et de la haute résolution issues du rayonnement synchrotron. Une quantification précise des phases était alors possible pour déterminer les formulations cosmétiques. Cette étape de l’étude a fait l’objet d’une collaboration avec le Laboratoire de cristallographie de Grenoble (CNRS).
Quatre phases principales ont été identifiées : la galène (PbS), la cérusite (PbCO3), la laurionite (PbOHCl) et la phosgénite (Pb2Cl2CO3). La galène est le minéral principal et bien connu des fards noirs de l’Egypte ancienne, mais aussi de khôls encore traditionnellement employés aujourd’hui dans certains pays d’Orient, d’Asie et d’Afrique du Nord. La cérusite, minéral blanc, apparaît comme composant principal pour des fards à teinte plus claire.

La présence de la laurionite et de la phosgénite était inattendue. Ces deux phases sont en effet très rares, parfois observées dans les produits de corrosion d’objets en plomb ou dans des scories de plomb rejetées dans la mer lors d’anciennes opérations minières (par exemple aux mines du Laurion en Grèce). La phosgénite est un peu plus fréquente car elle se forme également naturellement par oxydation des minéraux de plomb, lorsque ceux-ci viennent en contact avec des eaux carbonatées et chlorées. En supposant que de tels produits naturels aient été extraits, leur quantité dans la nature est de toute façon trop faible pour qu’ils aient pu être intensément utilisés comme base cosmétique pendant une période d’au moins huit siècles. D’autre part, l’extraordinaire état de conservation des objets étudiés exclut un apport de chlore par des eaux de ruissellement et donc une altération chimique des poudres dans leur récipient originel. Aucune source naturelle et aucun mécanisme d’altération ne permettent d’expliquer la présence de ces deux phases chlorées : les Egyptiens devaient donc synthétiser ces produits.

Cette hypothèse est renforcée par l’existence de recettes de produits médicaux décrites par Pline l’Ancien (naturaliste romain, auteur notamment d’une « Histoire naturelle ») et Dioscorides (médecin grec, auteur d’un traité sur les matières médicales) au Ier siècle après J.-C. Ils expliquent comment l’écume d’argent purifiée (en fait l’oxyde de plomb PbO) était broyée et mélangée dans de l’eau avec du sel gemme et parfois du natron (des carbonates de sodium principalement) puis filtrée ; la procédure était répétée chaque jour pendant plusieurs semaines. Ces réactions chimiques ont été reconstituées au laboratoire en mélangeant des poudres de PbO et de NaCl dans de l’eau. Une lente réaction produit une solution alcaline qui peut être maintenue à un pH neutre pour simuler les remplacements journaliers de l’eau. Le précipité obtenu a été identifié comme de la laurionite par diffraction des rayons X. L’observation des cristaux au microscope électronique à balayage a montré qu’ils avaient une morphologie similaire à celle de la laurionite archéologique. En présence de carbonates, on obtient aisément de la phosgénite.
Cette étude modifie notre regard sur les connaissances chimiques dans l’ancienne Egypte. Les technologies utilisant les arts du feu étaient maîtrisées dès 2500 avant J.-C. pour synthétiser le pigment bleu égyptien par exemple. La preuve de la synthèse de la laurionite et de la phosgénite montre que la chimie des solutions était également employée dès 2000 avant J.-C. pour la fabrication de matériaux entrant dans la composition des cosmétiques. Les réactions chimiques mises en jeu étaient relativement simples, mais le procédé, incluant des opérations répétitives, devait être difficile à mettre au point.
Après cette étude dans un contexte chronologique et géographique bien déterminé, le groupe dirigé par Philippe Walter (CNRS) et Jean-Luc Levêque (L’Oréal Recherche) se propose d’approfondir les connaissances sur les habitudes cosmétiques et sur la formulation des produits de maquillage en élargissant le corpus archéologique à d’autres régions du monde méditerranéen, en particulier à l’époque romaine.