Parmi les divinités du panthéon égyptien qu’on qualifie parfois de « mineures » parce qu’elles sont moins fréquemment représentées et surtout plus mystérieuses que les grandes divinités d’État, il en est une, appelée Hemouset qui est particulièrement sujette à discussion. Déesse protectrice attestée depuis les Textes des Pyramides de l’Ancien Empire, elle est étroitement associée à la déesse Neith de Saïs, dont l’étendard détermine le nom. Elle personnifierait le tertre primordial sur lequel le soleil s’est levé pour la première fois et serait spécialement associée à Neith comme maîtresse du flot. Elle serait donc liée à l’idée de fécondité, de fertilité et à l’apparition première de la vie. Hemouset est également parfois l’épouse de Sobek, le dieu crocodile, habitant des eaux primordial et, précisément, fils de Neith.
Une contrepartie du « ka » masculin ?
Mais cette entité nommée hemouset est aussi à plusieurs reprises étroitement associée au ka , le double des humains, l’énergie vitale et familiale qui se transmet de génération en génération par filiation paternelle, l’énergie des morts qu’il faut entretenir par des offrandes régulières. Hemouset est ainsi liée, comme le ka, à l’apport de nourriture. Les hemouset seraient donc aussi des déesses primordiales particulièrement en relation avec à l’énergie vitale. Toutefois, certains textes tendent à montrer que le terme ne désigne pas seulement une déesse ou un groupe de déesses, mais aussi un des aspects de la personnalité humaine. On sait que pour les Égyptiens l’homme est composé du corps (son individualité en termes d’apparence physique), de la conscience (le coeur, siège des désirs, etc.), du ba (sorte d’âme mobile qui apparaît seulement après la mort), de l’ombre (entité mobile mal identifiée), du nom (qui définit l’essence de la personne), du caractère (individualité en termes psychiques) et, bien sûr, du ka (l’énergie vitale familiale). Or une formule bien connue des Textes des Pyramides (chapitres 273-274) - traditionnellement appelée « hymne cannibale », parce qu’elle met en scène le pharaon défunt dévorant des divinités pour s’approprier leur puissance, leurs principes de vie, mais aussi leur héka (pouvoir magique protecteur) - contient justement le mot hemouset : « Les ka de [tel roi] sont autour de lui, ses hemouset sous ses pieds, ses dieux sont sur sa tête et ses uræus au sommet de son crâne. »
L’association entre le ka et les hemouset est ici flagrante. Elle est confirmée par un passage des Textes des Sarcophages du Moyen Empire qui a aussi pour but d’équiper comme il se doit le défunt : « J’ai mangé les ka ; je me suis nourri des hemouset ; je vis des esprits glorieux et des dieux anciens. » Ce rapprochement entre ka et hemouset a fait dire à R. O. Faulkner, un des premiers traducteurs des Textes des Pyramides, que les hemouset n’étaient autres que la correspondance féminine des ka.

Une question toujours en suspens
Il faut avouer que ces exemples ne sont pas suffisamment explicites pour apporter un éclairage définitif sur le problème des hemouset. Que représentent-elles réellement pour un humain ? Certains auteurs, se fondant sur la proximité ka-hemouset, ont vu dans cette dernière la contrepartie maternelle du ka. En effet, celui-ci est l’énergie familiale présente dans tout homme, ce que la lignée transmet à chaque enfant. Cette lignée en Égypte étant plutôt patrilinéaire, le ka est l’énergie vitale de la lignée paternelle. C’est pour cette raison, entre autres, qu’il était important d’entretenir le ka de son ancêtre comme garant du maintien de la lignée familiale. Si le ka est plutôt paternel, il serait donc tentant de voir dans ces hemouset ce que la mère transmet de son propre lignage à son enfant. On sait en effet que le rôle de la mère était très important dans le processus biologique. Dans les familles royales, elle se devait d’être de sang royal. On sait aussi qu’une théorie médicale impute au père l’origine des « parties dures » (os, dents, etc.) d’un enfant et à la mère celle des « parties molles » (peau, chair...). Aussi paraîtrait-il logique de retrouver cette dichotomie au niveau de la nature humaine, d’autant qu’on rencontre cette croyance dans d’autres civilisations (voir encadré). Force est pourtant d’admettre que, jusqu’à présent, rien n’est venu étayer cette hypothèse. On peut seulement constater que, outre sa proximité avec le ka, qui est certaine, l’entité hemouset ou des groupes d’hemouset sont effectivement présents dans les scènes de théogamie (dans lesquelles l’enfant royal est montré comme issu des amours de la reine mère et d’un dieu). Leur rôle est alors de protéger le nouveau-né.