Depuis longtemps, les archéologues avaient identifié des traces de vin dans les jarres des tombeaux des pharaons. Des fresques, retrouvées dans des tombes datant de 2600 avant J.-C., leur avaient également révélé que les Egyptiens maîtrisaient en leur temps la viticulture et la fabrication du vin. Mais de quel type de vin ? Du blanc, du rouge ? L’énigme, qui pourrait paraître anodine, n’était pas facile à résoudre. Une équipe de chercheurs espagnols a pourtant relevé le défi et éclairci le mystère, du moins en partie.

Dans les rites funéraires de l’Egypte ancienne, le défunt royal était momifié et placé dans un tombeau avec tous ses effets personnels (armes, trésors et nourritures) afin qu’il puisse en jouir dans l’Au-delà. Les jarres de vin faisaient partie du lot. Mais le breuvage était également utilisé lors des repas et fêtes des classes aisées de la société. Pour percer le secret du vin égyptien, Maria Rosa Guasch-Jané et ses collègues de l’Université de Barcelone (Espagne) ont d’abord dû obtenir auprès des British Muséum de Londres (Grande-Bretagne) et de l’Egyptian Muséum du Caire (Egypte) des échantillons de résidus prélevés sur des jarres du tombeau de Toutankhamon, l’illustre pharaon ayant vécu entre 1365 et 1343 avant notre ère. Sur l’un des jarres, étaient mentionnés le nom d’un producteur, l’année et la région d’origine du vin, à l’instar de nos bouteilles modernes. La première tâche des chercheurs a été de s’assurer avec certitude de la nature du liquide contenu dans les récipients. Pour cela, ils ont tout simplement recherché, avec succès, dans les résidus des traces d’acide tartarique (C4-H4-06), un composé utilisé comme marqueur du vin en archéologie. Une fois cette formalité accomplie, l’équipe s’est attaquée au véritable but de leurs travaux : déterminer la couleur de l’antique boisson. Une tâche rendue particulièrement ardue par la faible quantité des prélèvements autorisés.
"Le malvidine-3-glucoside, membre de la famille des anthocyanidines, est un pigment que l’on retrouve dans les vins jeunes et certaines grappes de raisins, à qui il confère leur aspect rouge", explique Rosa Maria Lamuela-Raventos, professeur associé à l’Université de Barcelone qui a participé à l’étude. C’est donc lui que l’équipe a choisi de traquer. Problème : avec le temps, cette molécule a tendance à se polymériser pour former des structures plus complexes. Pour contourner la difficulté, les chercheurs ont réalisé une fusion alcaline (voir schéma ci-dessus), une réaction qui permet de casser les polymères et qui donne de l’acide syringique en présence d’un complexe contenant du maldivine-3-glucoside. Et comme ils travaillaient à de très faibles concentrations, ils ont dû utiliser en tandem la chromatographie en phase liquide et la spectrographie de masse. La première sépare les différents éléments tandis que la seconde les identifie. "A ma connaissance, souligne Rosa Maria Lamuela-Raventos, c’est la première fois que cette méthode, capable d’identifier rapidement des composés avec une extrême sensibilité, est utilisée dans ce domaine". Le procédé a permis de révéler la présence d’acide syringique et donc de maldivine-3-glucoside, preuve indirecte de la réalité de la couleur rouge du vin. Mais si l’on sait désormais que les Egyptiens étaient amateurs de vin rouge, quid du blanc ? En effet, l’un n’exclut pas l’autre ! L’équipe espagnole compte bien aussi répondre à cette question.