Situé sur le plateau de Gizeh, au nord-ouest de Memphis, le Sphinx se dresse, énigmatique, devant les pyramides de Kheops, Khephren et Mykérinos. Haut de 20 m pour 73 m de longueur et 14 m de largeur, le Sphinx a été taillé dans la roche il y a plus de 4500 ans sous le règne du pharaon Khephren, dont il serait la représentation déifiée. Statue de lion à visage humain orienté vers l’est, il est le gardien de la nécropole funéraire du pharaon, il est désigné par le nom de Abou el-Hôl, « père de la terreur » par les Arabes. Selon les époques, le mystérieux lion à tête humaine a incarné différentes divinités. Au Nouvel Empire, les Egyptiens y voyaient une figuration de Rê-Horakhty, le dieu solaire ou de Harmakhis, « Horus dans l’horizon ». Plus tard il a été confondu avec le dieu cananéen Houroun. Aujourd’hui encore, les thèses les plus farfelus ont cours. Selon certains archéologues qui se basent sur le rythme d’usure de la pierre, sa construction daterait de plus de 9000 ans. Selon d’autres illuminés, il serait l’œuvre des rescapés de l’Atlantide et recèlerait en son sein une salle des archives toujours inviolée…

Il incarne la puissance souveraine, bienveillante pour les gentils, impitoyable pour les rebelles. Sphinx est un mot grec dérivant de l’égyptien ancien shesepankh qui signifie « statue vivante ». Ce terme désigne les statues de lion à tête d’homme ou de bélier qui montent la garde aux portes du monde souterrain.
Celui de Gizeh est le plus ancien et le plus grand exemplaire connus. A partir du Nouvel Empire, les sphinx se multiplieront à l’entrée de la plupart des temples sous la forme de long alignement de statues - connu sous le nom grec de dromos - bordant les allées d’accès.
Défiguré par un boulet de canon
Ce ne sont pas les troupes de Napoléon Bonaparte qui ont détruit son nez, comme le veut la légende, mais un cheikh iconoclaste du XIVe siècle qui lui fit tirer dessus au canon pour effacer son sourire jugé trop « païen » par cet intégriste.
Le Sphinx malade
La physionomie du monument a beaucoup changé depuis sa création. Des blocs de calcaire en affinaient les contours, et les traits de son visage étaient rehaussés de couleurs vives, dont on a retrouvé d’infimes traces de peinture sur son visage. Taillé dans un calcaire marbreux très fragile et sensible à la remontée de la nappe phréatique, le Sphinx est un géant malade depuis des siècles. Entre ses pattes se dresse la « stèle du songe », témoignage le plus ancien de travaux d’entretien effectué sur la statue.

Le songe de Thoutmosis IV
Sur cette stèle de granit rouge est gravée l’histoire du pharaon, premier « sauveur » du géant de pierre. Une nuit, XIV siècles avant J.C., le souverain est visité en rêve par le dieu Harmakhis, qui l’implore de délivrer le monument de la gangue de sable sous lequel il est enseveli. Répondant à l’injonction divine, Thoutmosis IV fait désensabler le géant et commande l’édification d’un mur de protection de plus de 2 m d’épaisseur.
Sous le Nouvel Empire, certaines parties de son parement sont remplacées. De nouvelles « réparations » sont effectuées tout au long de l’antiquité jusqu’à l’époque romaine. Quand l’expédition de Napoléon Bonaparte le découvre, il est à nouveau désensabler pour pouvoir procéder à des mesures. En 1925 et 1926, le Français Emile Baraize dirige la dernière campagne de désensablement. Une tache colossale qui a l’inconvénient de dépouiller la statue de la couche de sable qui lui servait de protection contre les atteintes de l’érosion éolienne et de la pollution urbaine.
Une accumulation d’erreur
Le Sphinx a été taillé dans un calcaire marneux peu homogène. Ce matériau est excessivement fragile et sensible à l’humidité. L’ensemble de la structure colossale est menacé par des phénomènes d’éclatement de la roche. Souffrant de la pollution du Caire tout proche et de l’usure naturelle du au vent de sable, le géant subit de plus, le contrecoup des restaurations hasardeuses des années 80. Les travaux de restauration menés en 186-87 ont gravement endommagé le monument. Si dans l’antiquité, on utilisait des matériaux sans danger pour la pierre, cela n’a pas été le cas lors de la dernière campagne. Les ouvriers ont utilisé du ciment moderne beaucoup plus solide que la roche. Les sels présents en abondance dans le ciment utilisé, ont rongé la pierre provoquant son éclatement. Un an seulement après la fin du chantier, des blocs commençaient à se détacher. En 1988, une partie de l’épaule c’est même effondrée. A la suite de cet incident dramatique, les plus grands experts internationaux ont été réunis, sous l’égide de l’UNESCO, pour se pencher au chevet du géant malade. Les travaux ont repris en 1989 avec des méthodes complètement différentes. Pour la première fois, archéologues, artistes, géologues, ingénieurs et architectes œuvrent de concert.

Pour les responsables égyptiens, il n’est pas question de refaire du neuf. Il s’agit de respecter le monument et son histoire en ayant recours à des méthodes traditionnelles aussi peu destructrice que possible. L’ambition est de maintenir le Sphinx en état et non de lui redonné son aspect supposé à l’origine.
Tenons et mortaises à la place du ciment
Les gros blocs de surface sont retirés. Le ciment qui s’est infiltré jusqu’à 3 m de profondeur est alors délicatement retiré. Les artistes ajustent ensuite des morceaux de polystyrène à la dimension exacte des parties endommagées. Ces ébauches servent de modèle aux tailleurs de pierre. Les blocs de remplacement sont de dimension beaucoup plus réduites que ceux qui furent utilisés dans les années 80. Ils sont de ce fait beaucoup plus nombreux : 1852 contre 390 entre 1982 et 1987. S’emboîtant parfaitement les uns dans les autres grâce à un système de tenons et mortaises, ils sont ensuite placés au plus près de la roche-mère. Le ciment étant proscrit, on utilise comme liant, un mélange très ancien à base de sable et de chaux. Cette méthode, indolore pour le monument, permet de rendre la finesse originelle des formes. Il reste toujours possible de dégager facilement n’importe quel bloc retaillé et d’intervenir ponctuellement sur n’importe lequel d’entre eux sans remettre en question la solidité et l’esthétique de l’ensemble.

Une cloche de verre pour le Sphinx ?
Le visage du Sphinx est relativement préservé. Ne manquent que la barbe postiche et le nez - emporté par un boulet de canon mamelouk.
Les restaurateurs se penchent maintenant sur le problème du cou et de la poitrine de la statue. Des études françaises mené sous l’égide de l’UNESCO et basé sur la technique de propagation du son ont démontré que le cou peut continuer à supporter le poids de la tête. Mais les spécialistes s’inquiètent malgré tout de la résistance de la pierre de plus en plus rongé par le sable et la pollution. La poitrine, de son coté, a déjà perdu plusieurs dizaine de centimètres depuis le désensablement effectué au début du XXe siècle. La pierre très friable se désagrège sous l’érosion due au vent de sable.

Plusieurs solutions sont envisagées mais toutes présentent des inconvénients. L’application d’un produit chimique à base de silicate organique enserrant la pierre dans une résille très résistante est une technique bien maîtrisée, mais son efficacité sur le calcaire est bien inférieure aux résultas obtenus sur le grès. De plus cette solution très coûteuse serait irréversible Un parement de pierre taillé modifierait considérablement l’aspect d’ensemble de la statue. Une légère couche de mortier assurerait une protection efficace contre le vent, mais le mortier risque de se détacher par plaques et entraîner dans sa chute des pans entiers du monument. Le projet fantaisiste de placer la statue sous une cloche a quant à lui était abandonné…
Un second congrès international doit se pencher bientôt sur le cas du Sphinx. En attendant l’avis des experts, on ignore quel sera l’avenir du géant de Gizeh.
