L’érotisme
Article mis en ligne le 29 décembre 2023
dernière modification le 6 décembre 2023

Les documents relevant du domaine de l’éros dans l’Egypte ancienne sont d’une extrême rareté. Il est vrai qu’ils ont quelque peu souffert de la pruderie affichée au XIXe siècle, mais le corpus des représentations n’est en aucune manière comparable à ce qu’ont pu léguer à notre époque la Grèce ou Rome.

A lire les Maximes d’Ankhchéchanq, l’homme serait encore plus enclin aux relations sexuelles que l’âne, de sorte que seuls ses moyens financiers brident ses instincts. Ces allusions ont naturellement trait à une forme d’amour vénal.

Cependant, la pornographie est un genre attesté en Egypte nonobstant une idée fortement répandue en vertu de laquelle les Egyptiens n’auraient eu aucun penchant pour ce type de licence. Le fameux Papyrus érotique de Turin en est un des meilleurs exemples. Le caractère même de ce document ne fait pas l’unanimité : certains ont d’abord voulu y voir un manuel des jeux amoureux, mais l’éditeur est plutôt enclin à y voir une satire de la société. Car les scènes décrites visent un prêtre et des prêtresses, tenus à la pureté et contraints à la chasteté au cours de leur service. Cette satire trouverait son parallèle dans une autre partie du Papyrus montrant des animaux singeant des attitudes humaines. Ce document constitue une source sans pareille sur les habitudes sexuelles des anciens Egyptiens.

En revanche, des graffiti érotiques, voire pornographiques, sont parvenus jusqu’à nous. Des objets dits érotiques sont conservés, mais la plupart, d’époque tardive, sont destinés à écarter le mauvais oeil.

Toute société organisée ressent le besoin d’édicter des règles destinées à règler les relations entre ses différentes composantes. L’Egypte n’a pas échappé à cette règle, de façon à prévenir des désordres dans la société.

Un fort contraste existait entre les contraintes qui s’exerçaient sur la vie du peuple et la liberté amoureuse qu’affichait la classe dirigeante. Cependant, tout ce qui relève de la vie divine et royale ? bref toute représentation sacrée ? relève d’un cryptage qui confine à la pudibonderie : les scènes de théogamie sont, en effet, d’une grande chasteté formelle. Seul, un code permet de comprendre la nature de l’union divine qui ne peut s’exprimer comme les relations entre deux êtres humains. Ainsi, l’accouplement du dieu et de la reine ou de la déesse n’est marqué que par la présence du lit et l’entrecroisement des jambes des deux partenaires. L’intimité de ces derniers n’est indiquée que par l’effleurement des mains des deux amants divins. La reine tient le coude de son amant divin tandis que celui-ci la féconde en épanchant son coeur et en présentant au nez de la reine un signe de vie porteur de fertilité.

On peut retrouver ce geste chez certains groupes de particuliers dont un double ouchebti montrant un homme et sa femme allongés sur une couche. C’est là semble-t-il un geste typique entre les conjoints. Ce dernier figure sur des représentations de l’époque amarnienne montrant la reine assise sur les genoux du roi, l’embrassant, le baiser étant à cette époque une posture d’ordre cosmique. On est pourtant encore bien loin des descriptions imagées des Textes des Pyramides ou des Textes des Sarcophages.

Cependant, si les images sont prudes, les textes et tout particulièrement les textes religieux, expriment l’intérêt et même la nécessité des relations sexuelles pour le défunt de façon univoque. La puissance sexuelle est nécessaire au défunt après la mort ; elle constitue un des moyens de jouvence et de survie. La langue égyptienne ne comporte pas moins d’une bonne vingtaine de mots pour désigner l’acte sexuel. Par ailleurs, les textes montrent que les dieux ne sont pas exempts de sexualité. Des textes prêtent aux dieux des attitudes gaillardes, et les déesses, pour réchauffer l’ambiance morose, n’hésitent pas à payer de leur personne.

Il convient de noter que la nudité ne touche que des scènes de la vie quotidienne ou érotiques. L’enfant impubère est représenté nu, mais les représentations d’adultes dénudés sont en fait rares et le plus souvent liées a des registres bien définis. La nudité semble acceptée dans des contextes où elle facilite une activité le plus souvent professionnelle. Les autres nus et surtout ceux concernant les femmes sont forcément chargés d’une connotation érotique. Cependant, il est clair que l’érotisme se pare d’artifices dans les hautes classes sociales. Les femmes de haut rang ne se montrent que rarement nues, même au bain. Leur corps est le plus souvent revêtu de tissus transparents qui, loin de cacher les formes, tendent à les mettre en valeur. De plus, les Egyptiens ont joué sur les propos allusifs et la gestuelle érotique.

La coiffure est un des principaux éléments de la séduction. Comme le démontrent de nombreux passages dans la littérature, la coiffure ou la perruque au cheveux longs constituent l’apparat érotique. L’amant impatient dit a sa belle : "mets ta perruque et passons un jour heureux".

Si une coiffure parfaite est un sûr moyen de séduction, une perruque rangée dans son étui prête à l’emploi est un prélude à un "jour heureux". Une scène représentée dans une tombe en apporte la confirmation : une jeune femme se fait coiffer, un serviteur prépare un lit, en y posant un chevet. Ce fait peut sembler à première vue étrange, mais l’unique représentation hiéroglyphique connue d’une étreinte montre la femme allongée sous l’homme, la tête soutenue par un chevet.

Enfin, les scènes de coiffure, présentes dans les scènes d’allaitement, le sont aussi au sein de scènes de banquet. Dans d’autres, sous la chaise de nobles dames, on trouve un miroir, des pots à onguents ou encore des sandales. Cependant les deux premiers peuvent être liés au thème érotique de la toilette. On pourra lier à la présence de ces objets, celle d’oies et de singes apprivoisés, tous deux nettement chargés de connotations érotiques.

L’épilation complète est signe, certes, de pureté sacerdotale mais aussi partie intégrante de la toilette nuptiale, préparant un corps impeccablement satiné, épilé. L’égyptien employait alors le terme njj lisse, visiblement lui aussi chargé de sens dans les Chants d’amour.

Dans ces derniers, le poète emploie de multiples métaphores destinées à exprimer les charmes de l’aimé (e), le désir ou l’acte lui-même. On pourra citer parmi tant d’autres un passage du Papyrus Anastasi (I 25,4-5) contant l’aventure galante d’un soldat en Asie.

"Tu trouves le bassin fleuri en son temps, tu fais une brèche dans la clôture et tu découvres une jolie fille qui garde le verger. Elle te laisse être tendre avec elle, plus qu’un simple compagnon, et elle te fait don de la couleur de son sein".