L’intensité du sentiment religieux d’un peuple se marque dans la vie quotidienne par des manifestations extérieures qui, dans le cas de l’Égypte, n’ont malheureusement guère laissé de traces dans les monuments ou la littérature. Il est certain que les Égyptiens pratiquaient les pèlerinages. Le pèlerinage à Abydos, où repose la tête d’Osiris, et celui à Bubastis sont parmi les plus populaires ; les morts eux-mêmes les accomplissaient et les représentations des tombes font voir les bateaux qui les y transportaient. Au terme du pèlerinage à Abydos, les vivants érigeaient, en témoignage de piété personnelle, une stèle à leur nom, pour obtenir la faveur du dieu après leur mort.
Tous les grands temples connaissent aussi la foule des pèlerins lors de la fête de leur dieu. Ces fêtes sont de plus le prétexte à la célébration de « mystères » où la légende du dieu est mimée ou racontée par des récitants. Les auteurs classiques nous apprennent que, parfois, ces mystères donnent lieu à des combats fictifs où il n’est pas rare que le sang coule. La foule participe par des chants et des danses aux processions qui accompagnent ces fêtes annuelles. Les morts sont célébrés à Thèbes, durant la « Fête de la vallée », lorsque le dieu Amon, présent dans sa statue, traverse le Nil et visite les temples funéraires des rois, sur la rive ouest du fleuve. À cette occasion, le peuple qui suit la procession se rend dans les tombes familiales et participe à des agapes que les morts président.
C’est également au cours des fêtes, lorsque la statue de la divinité est solennellement promenée hors du sanctuaire, que les fidèles peuvent s’adresser directement à leur dieu : ils posent des questions soit oralement, soit en mettant sur son passage deux fragments de papyrus, ou deux éclats de poterie, sur lesquels la question est écrite sous forme affirmative sur l’un, et négative sur l’autre. Le dieu répond en obligeant ses porteurs à se diriger soit vers le texte affirmatif, soit vers le texte négatif. Aux pétitions orales, le dieu donne réponse en s’avançant pour l’affirmative, en reculant pour la négative. En interrogeant la divinité, les fidèles manifestaient le désir d’agir selon la volonté divine.
Une stèle, entre autres, montre que les Égyptiens ne prenaient pas à la légère le parjure envers les dieux. Un homme accusé d’une injustice, dont il était coupable, s’était disculpé en prêtant serment par Ptah et Merseger, la protectrice de la Nécropole. Or, il perdit la vue. Il s’adressa alors aux dieux qu’il avait offensés, disant : « Je suis un homme qui a juré faussement contre Ptah, le seigneur juste. Il me rendit aveugle, aussi je proclame la puissance de ce dieu. Gardez-vous de Ptah, le seigneur juste, il ne néglige les actions de personne. » Puis il implora la miséricorde des dieux, fut exaucé et recouvra la vue.
Rares sont les textes de ce genre, qui permettent d’entrevoir l’attitude des fidèles envers les dieux ; il en reste toutefois suffisamment pour justifier l’affirmation d’Hérodote sur la religiosité des Égyptiens. À la basse époque, où le culte des animaux sacrés était très populaire, des fidèles du taureau Apis s’astreignaient, lors de la mort de l’Apis, à de longs jeûnes et à des pratiques ascétiques pour acquérir les faveurs du dieu.
De même, les noms portés par les individus témoignent aussi de la ferveur religieuse. Ce sont souvent des invocations à une divinité qui assure ainsi la protection de celui qui porte son nom : ]Horemheb (« Horus est en fête »), Amenemhat (« Amon »), Ptahour (« Ptah est grand »).
Les légendes écrites sur les scarabées appellent aussi la bienveillance divine sur le propriétaire de cet objet, un des plus populaires de l’Égypte ancienne. Souvent l’image d’un dieu ou d’une déesse gravée sur le plat suffit à assurer la protection divine, mais parfois c’est une véritable prière qui est inscrite : « Louange à Khonsou qui est dans Thèbes », « Amon est protection, ne crains pas ».
Enfin, selon les auteurs grecs qui ont visité l’Égypte, le peuple respectait religieusement les tabous de sa province. Un Romain fut massacré par la foule pour avoir, par inadvertance, tué un chat à Bubastis. Hérodote note que le porc était tellement impur pour les Égyptiens que si l’un d’eux était frôlé par un de ces animaux, il allait aussitôt se plonger dans le fleuve pour se purifier.
Au cours des siècles, puis des millénaires, la religion égyptienne a évolué, mais sans perdre pour autant les caractères qui la marquent dès ses origines. Des dieux nouveaux pourront apparaître, Adonis, Astarté, Baal, Reshef, venus du couloir syro-palestinien, ou Doudoun le Nubien, ils s’ajouteront simplement au panthéon égyptien sans que la religion autochtone en soit affectée. Même la tentative de réforme d’Akhenaton restera sans lendemain.
C’est à peine si, à la fin de l’histoire égyptienne, la religion tend à se scinder en deux attitudes. La pensée théologique, dans les temples, évolue vers l’idée du dieu universel, « l’un-unique », « l’âme collective », qui, au demeurant, a toujours été présente en puissance dans chaque divinité ; le culte populaire, pour sa part, s’attache de préférence aux formes sensibles de la divinité : statues, animaux sacrés, génies secondaires. C’est l’époque où les pèlerinages connaissent leur plus grande vogue. Le culte d’Osiris et d’Isis, largement pratiqué en Égypte, se répand dans le monde méditerranéen et en Europe.
Au-delà de l’extraordinaire complexité de la religion égyptienne, de la multiplicité de ses dieux, les Égyptiens paraissent avoir toujours eu le sentiment de l’unité du divin. C’est probablement pourquoi aucun Égyptien ne semble jamais avoir été choqué parce que son voisin n’adorait pas la même forme de divinité que lui. Sauf en de très rares occasions, l’Égypte n’a connu ni l’intolérance, ni le prosélytisme en faveur d’un culte au détriment des autres.
La profondeur de son sentiment religieux incitait l’Égyptien à reconnaître le divin partout. « Celui dont le cœur est ferme sur la voie de dieu, affermie est son existence sur la Terre. Celui qui a dans l’âme une grande crainte de dieu, grande est sa félicité sur la Terre » (Pétosiris, 62-2).