LE CONTRAT DE MARIAGE
Il est préférable, avant d’évoquer le mariage lui-même, de parler des documents juridiques et des usages s’y rapportant. L’ensemble de ces témoignages prouvant l’indépendance et la sécurité dont la femme pouvait bénéficier et qui nous sont parvenus remonte à la XXIIe dynastie [1] . Les rédactions nous autorisent cependant à penser que la coutume foncièrement ancrée dans les moeurs et peu sujette aux bouleversements politiques existait, exprimée dans ses grandes lignes, à des époques bien plus anciennes et même peut-être dès les temps des pyramides. Au Nouvel Empire, on a pu repérer dans les textes les trois premiers types de contrats de mariage. Au reste, ils constituaient une garantie pour la femme au regard de son régime matrimonial, uniquement en cas de divorce. Cette convention n’était pas exigée au moment de l’entrée en ménage des époux : on possède la preuve qu’il fallait parfois même attendre sept années. Néanmoins nous avons aussi la certitude, par un texte de Basse Époque, qu’une dame « de la Société » n’acceptait cette union qu’après la définition de son « régime matrimonial [2] ».
Aucune trace de loi n’a pu être retrouvée imposant l’établissement du contrat en lui-même, pourtant une ordonnance royale nous apprend qu’il faut « donner à toute femme son " séfèr " » et cela fut prononcé devant le vizir (il s’agit certainement de lui garantir un avoir ou des droits à une succession). En fait, toutes les dispositions envisagées dans les contrats visaient, d’une part, la « provision de subsistance » de la femme et, d’autre part, l’héritage pour les enfants, cela en cas de dissolution de l’union (divorce plutôt que répudiation) ou mort du conjoint. Les avoirs étaient
Un autre contrat semble indiquer que la femme est seule à avoir fourni de l’argent. (Dans le cas où l’épouse était plus aisée que le mari, alors ce genre de mariage est déconseillé par la sentence morale du sage.) Cet acte a pour titre : « l’argent pour devenir épouse » : « Tu m’as donné (ici mention de la dot en valeur d’argent et de cuivre) comme argent pour devenir ma femme [...] Je l’ai reçu de ta main, et mon Coeur est satisfait. Le compte y est, exactement. Je n’ai, à ce jour et à jamais, aucune réclamation à exprimer en ce qui le concerne. [Quant à moi] je te fournirai (ici figure la quantité de grain et d’argent) pour ton entretien chaque année. Si dans le mois (30 jours) je ne te rendais pas l’argent réclamé [de la dot] je continuerais à verser ce que je te dois pour ton entretien jusqu’à ce que je puisse rendre (cette dot). » (Alors l’époux, devant témoins et le scribe qui a consigné les termes de l’accord, met en gage tous ses biens pour assurer ces versements et déclare :) « Tu as un droit sur les versements pour ton entretien. »
Divisés en deux parties très distinctes : d’abord ce que la femme apporte au moment de sa mise en ménage et ensuite ce qu’elle a droit de recevoir (ou de lui être reconnu), et une partie de ce qui a été acquis en commun durant le temps du mariage.
Voici les trois types de contrats que l’on peut citer d’abord : premièrement un texte où le mari semble avoir contribué dans une large mesure au financement de la vie en commun. De nombreux témoins peuvent avoir signé cette convention se rapportant au « cadeau-pour-la-femme (ou cadeau-de-vierge) et ses biens personnels » : « Je t’ai prise pour femme, je t’ai donné (suit la liste des apports). Si je te répudie en tant que femme, soit que je te haïsse, soit que je veuille une autre femme que toi, je te donnerai (liste des dons), et je te donnerai aussi un tiers de ce qui aura été acquis entre nous, à partir d’aujourd’hui. Les enfants que tu m’as donnés (donc le contrat a été passé un certain temps après l’union) et que tu me donneras sont les héritiers de tout ce que je possède ou pourrai acquérir. Ton fils aîné est mon fils aîné (ici se termine le texte avec la liste des meubles et objets apportés par la femme au moment du mariage, avec indication, comme toujours, de leur valeur vénale) ».
Le troisième type de convention est encore plus favorable à la femme et concerne surtout la pension alimentaire. Il est seulement signé par le scribe, incontestable garant. Le document est appelé : « le capital alimentation » : « Tu m’as donné (mention de la dot) comme pension alimentaire. Je te remets, pour ma part (en argent et en grain) comme prix de ta nourriture et de ton habillement. A toi revient un tiers de tous mes biens présents et à venir, au nom des enfants que tu as mis au monde et que tu mettras au monde pour moi. Tu as droit au paiement de la pension qui doit être à ma charge. Je ne pourrai pas te dire : "Reprends ta dot !" Cependant, si tu désirais la reprendre (c’est-à-dire dissolution de l’union), je te la rendrais. Tout ce que je possède ou viendrai à posséder garantit [cette promesse]. »
Il ressort avant tout, en ce qui concerne le droit à la « communauté réduite aux acquêts », qu’en cas de mort ou de dissolution les biens passaient directement, suivant certaines dispositions des légataires, aux enfants, mais les acquêts revenaient à chacun des conjoints ou au survivant dans la proportion d’un tiers à la femme et de deux tiers au mari. On ne sait si les documents ne formaient pas les trois chapitres applicables pour un seul contrat ou si les époux choisissaient suivant leurs moyens la solution qui leur convenait le mieux. Les engagements pris par l’homme constituaient on le voit de lourdes charges, mais au seul cas où il aurait désiré divorcer. Tous les avantages essentiels étaient garantis à la femme, laquelle avait aussi la latitude de demander le divorce et récupérait, si elle n’était pas en faute, tous ses biens. Ces derniers pouvaient être gérés par le mari, mais en l’état actuel de nos connaissances, il semble difficile de préciser si tous les avoirs et biens meubles cités dans les conventions retrouvées correspondaient réellement aux apports de l’épouse. Très souvent, le mari pouvait lui reconnaître des versements fictifs autant d’assurances pour elle que l’union demeurât stable.
Naturellement l’Egyptien devait donc subvenir aux besoins de sa femme, au cas même où celle-ci serait séparée temporairement de son mari. En revanche, si l’époux se trouvait dans la gêne (ou avait contracté une maladie), la femme et la famille de cette dernière devaient lui prêter assistance. Un ostracon [3] nous renseigne sur ce qui paraît advenir dans ce cas, dans un milieu très modeste, à propos d’une femme qui appelait sa belle-soeur au secours de son ménage : « Je t’enverrai une quantité d’orge que tu me feras moudre. Ajoutes-y de l’épeautre et fais-moi les pains, car je me querelle avec mon mari. Il dit qu’il va me répudier. Car il se dispute avec ma mère à propos du nombre de pains qui nous est nécessaire. Il dit : « Ta mère ne fait rien de positif Tes frères et tes Soeurs ne prennent pas soin de toi non plus », voilà ce qu’il dit ! II se querelle avec moi chaque jour en disant : « Tu vois ce que tu m’as fait, depuis que je vis ici avec toi, alors que chacun envoie tous les jours aux siens du pain, de la bière et du poisson, bref tu dois dire quelque chose à tes parents, sinon tu devras t’en aller... »
Un autre type d’engagement au moment d’une union nous a aussi été conservé [4]. Le père de la mariée donne à sa fille divers objets et ustensiles pour son établissement dans la maison de son conjoint. De plus, il s’engage à fournir au ménage une rente de céréales, pendant sept ans, ce qui correspond à la durée d’une sorte de « mariage à l’épreuve » ou « à l’essai » dont les traces ont été retrouvées [5].
POLYGAMIE, POLYANDRIE
Il est donc assuré que la convention matrimoniale, ou contrat, établie seulement en vue d’un éventuel divorce, est complètement séparée de l’acte du mariage proprement dit, et jusqu’à présent aucune loi n’a été trouvée régissant cette union qui procède du seul droit coutumier. Un Égyptien pouvait-il être marié à deux épouses à la fois, c’est-à-dire posséder deux « maîtresses de maison », nébèt-pèr, en même temps ? La question a souvent été posée et la plupart du temps résolue par la négative. Cependant certains auteurs [6] ont pu affirmer que les« droits de la femme ont été amenuisés pendant la période d’anarchie » située entre l’Ancien et le Moyen Empire, et que la « déchéance de la condition juridique de la femme a altéré l’ancienne monogamie de jadis ». Non seulement les princes ont plusieurs épouses, comme les rois, mais il arrive que des gens de moindre importance aient deux ou trois femmes à la fois dont les descendants sont légitimés, quoiqu’une seule d’entre elles occupe le rang de « maîtresse de maison ". En fait, il faut, pour qu’un enfant soit reconnu par son père, qu’il ait été mis au monde par sa maîtresse de maison (plus bas il sera question de la concubine Tchat). Il importe aussi que nous ayons la preuve formelle d’une polygamie dans le monde civil, comme cela était courant pour le seul Pharaon [7]. A l’analyse de tous ces cas étudiés, il apparaît que certains peuvent s’appliquer à des veufs qui mentionnent sur leur stèle funéraire une première femme défunte, à côté de leur nouvelle épouse. Cela se comprend d’autant plus facilement que les Egyptiennes mouraient souvent en couches et qu’il fallait donner de nouvelles mères aux nouveau-nés. Mais il est évident que devant le cas d’un certain Méry-Aâ, figuré en présence de ses six épouses, on a quelque hésitation à supposer cinq veuvages ou un « panachage » de divorces et de veuvages successifs. Cette situation constitue l’exemple extrême et, pour d’autres moins spectaculaires, on pourrait mettre en avant l’argument signalé précédemment : la très fréquente mortalité des mères au moment des accouchements.
En ce qui concerne la polyandrie, les exemples sont encore plus douteux ; on ne peut affirmer qu’une femme fut mariée à deux conjoints à la fois. Ainsi pour le Moyen Empire, une certaine dame Mènkèt figurée sur une stèle du Louvre [8] en compagnie de son époux Hor, est sans doute la même représentée sur une autre stèle du Louvre [9] avec un autre mari nommé Nésou-Monthou ! Si d’autres cas analogues sont susceptibles d’être cités, rien ne permet cependant de conclure à la polyandrie, et de même aussi que les deux célèbres sculpteurs enterrés à Deir el-Médinehaient possédé, à la même époque, une seule et même femme. La dame en question avait vraisemblablement épousé l un après l’autre ces deux artistes, le premier étant sans doute décédé.
LE DIVORCE ET LA PROTECTION DE LA FEMME
Causes de divorce
De même que le mariage, le divorce relevait du droit coutumier. L ?homme et la femme pouvaient divorcer, mais devant les charges qui incombaient en général à l’époux, la plupart des ménages demeuraient très stables. Le cas le plus fréquent pouvait cependant être celui de l’adultère qui avait la réputation d’être très sévèrement puni. Il y avait, cependant, de nombreux accommodements avec ce que les textes appellent le « grand crime » ou la « grande faute » et qui était menacé de mort par crocodile. Référons-nous d’abord au sage Ptahhotep [10] : « Si tu désires que ta condition soit bonne, Sauve-toi de tout mal Garde-toi de l’avidité, C’est la maladie douloureuse d’un incurable ! [... ] Elle brouille les pères et les mères. Et aussi les frères de la mère. Elle sépare l’épouse de l’époux. »
Nulle n’était préservée d’une calomnie, et lorsque le « Pessimiste » de la littérature du Moyen Empire se plaint de ne pas être aimé, il déclare : « Malheur ! Mon nom est détesté plus que celui d’une femme quand on l’a calomniée auprès de son mari ! » Pour se justifier, il ne restait plus à la dame que de prononcer, sur la demande de son mari, un serment devant témoin, car Dieu savait punir par la cécité un faux témoignage, au cas où on invoquait en vain son nom. « Je n’ai pas eu de rapports hors de notre union. Je n’ai pas eu de rapports avec personne si ce n’est [toi], depuis que j’ai été unie avec toi l’an [...] jusqu’à aujourd’hui. Déclaration faite, l’accusation disparaissait, mais l’offense demeurait faite à l’épouse ; soupçonnée. Aussi, du moins d’après un document de Basse Epoque, apprend-on que la réparation se soldait par une forte indemnité : « Au cas .où elle prononce le serment, on ne relèvera rien contre elle, et il (l’époux accusateur) devra lui donner quatre talents et cent deben d’argent.
Relâchement des moeurs chez les ouvriers de la nécropole royale
Avant d’aborder le régime du divorce dans les couches de la bonne société, il est édifiant de se pencher sur ce qui était susceptible de se passer à une époque d’évidente dissolution des meurs, au tout début de la XXe dynastie à Deir el-Médineh, dans le village des artisans de la nécropole royale à l’ouest de Thèbes. Les écrits retrouvés au cours des fouilles françaises sont suffisamment nombreux pour permettre de reconstituer de véritables petites « tranches de vie » et de constater combien, en l’occurrence et à ce niveau, le « crime d’adultère pouvait être minimisé. Divers fragments de textes mettent en cause Hésy-Sounébèf, ancien petit serf, adopté par un des chefs de travaux du village. Il avait épousé une certaine dame Hounour, appelée « sa soeur, maîtresse de maison », vivant précédemment semble-t-il en « union libre » avec un ouvrier nommé Pèn-Douaou. De cette conjointe légale, il avait eu un fils et deux filles, l’aînée s’appelant Oubékhèt. Le pauvre Hésy-Sounébèf n’avait pas procédé à un bon choix. Non seulement sa volage Hounour, mais encore leur propre fille, allèrent successivement partager la couche du plus mauvais garçon de Deir el-Médineh, Panèb, et son fils, digne rejeton de son père, qui séduisit à son tour la jeune Oubékhèt, à peine sortie des bras de Panèb ! Ce dernier, c’est le comble, était également accusé d’avoir détourné de ses devoirs la dame Touy, épouse de l’ouvrier Kenna ! On comprend pourquoi l’infortuné Hésy-Sounébèf divorça [11]en l’an 2 de Sethnakht, mais cependant une petite pension mensuelle de grains fut accordée à l’épouse indigne. Et tout cet imbroglio n’empêcha pas Hésy-Sounébèf de rester en bons termes avec sa fille, et cette dernière d’épouser le chef des ouvriers : Nèkht-èm-Niout !
Autres causes de divorce
L’adultère mis à part, lequel était semble-t-il sévèrement puni, sauf dans certaines couches populaires, les autres cas de divorce pouvaient être ce que l’on appelle maintenant l’incompatibilité d’humeur, ou encore le fait que l’un des époux s’éprenait d’amour pour un tiers, ou surtout la stérilité. On connaît un cas d’excuse fallacieuse mise en avant par un conjoint qui venait, après vingt ans de ménage avec son épouse, de rencontrer la (femme de sa vie). Cette anecdote est rapportée en exemple à une dame dont le mari vient de décider de divorcer avec mauvaise foi et sans reproches valables contre sa femme :
Tu es dans la situation de la femme aveugle d’un oeil qui avait été dans la maison d’un homme depuis vingt ans.. mais il en a trouvé une autre, aussi a-t-il dit (à la première) : « Je divorce d’avec toi, car tu es aveugle d’un oeil, à ce qu’on dit . » Elle lui a répondu : Est-ce cela la découverte que tu as faite pendant ces vingt ans que j’ai passés dans ta maison ? »)
Quant à la stérilité, le moraliste qui indique toujours le meilleur chemin à suivre conseille : « Ne divorce pas d’une femme de ta maison parce qu’elle n’a pas conçu d’enfant », une solution meilleure est de se tourner vers l’adoption.
Les droits de la divorcée
Ne pouvant s’appuyer sur un interdit religieux pour s’opposer à la séparation des conjoints, la stabilité du ménage dépendait du bon vouloir des époux, de la crainte, pour le mari, des charges qui allaient peser sur lui en cas de séparation et qui auraient parfois pu le laisser complètement démuni, et aussi de la très grande qualité de moralité des ménages en général ayant toujours présent à l’esprit la loi d’équilibre qu’il ne fallait pas perturber. Le père de la fiancée au reste, et ce à tous les niveaux de l’échelle sociale, veillait à garantir au maximum l’avenir de sa fille. Ainsi, le prétendant, ou encore le mari, prêtait serment à son beau-père en l’assurant de ses bonnes intentions à l’égard de sa fille : Qu’Amon vive, que le souverain vive ! Si jamais je répudie (ou si j’injurie) la fille de Ténèrmonthou, déclare un ouvrier, devant les autorités du village, je serai passible d’une centaine de coups et je perdrai tous les biens acquis en commun" (serment fait devant) le chef des ouvriers, Khonsou, le scribe Amènnakht, Néjèrhèr et Khaèmnoun, l’an 23, premier mois d’hiver, jour 4 (sous le règne de [12]). »
Si une femme richement mariée était répudiée [13] sans l’avoir mérité, elle devait récupérer le « cadeau-pour-la-femme », sans compter l’ « argent-pour-devenir-épouse ». A cela s’ajoutaient les « biens personnels de la femme » (ou leur valeur), le « capital d’alimentation », et même une part du patrimoine personnel de son mari (ce qui était appelé : les « biens de-père-et-de-mère »), à moins que ce dernier bien n’ait été réservé pour les enfants de la divorcée qui recevait encore un tiers des acquêts en commun. Il arrivait même qu’elle perçoive la totalité des acquêts (c’est-à-dire également les deux tiers qui revenaient au mari) et éventuellement une « pénalité de divorce » (le double, paraît-il, si l’époux la quittait pour contracter une nouvelle union !). Enfin, dans certains cas, la divorcée pouvait continuer à demeurer dans l’ancien domicile conjugal ! Si le divorcé ne pouvait rendre immédiatement l’ « argent-pour-devenir-épouse » ou encore le « capital-d’alimentation » qui étaient reconnus à sa femme par contrat, il devait naturellement assurer la subsistance de son ex-épouse jusqu’au jour où il était à même de lui rendre ces biens et ces sommes. Avec de tels engagements, le ménage se présentait comme quasi inséparable ; c’est par là reconnaître qu’une polygamie devait être peu réalisable, ce qui avait donc, et par voie de conséquence, très fortement contribué à établir le régime de la monogamie.
On a vu que le père veillait sur les intérêts de sa fille, et après un divorce survenu dans un ménage pauvre, ne la laissait jamais sans toit : « Tu es ma fille, a écrit l’un d’eux, et si l’ouvrier Baki te répudie du foyer conjugal, tu pourras habiter dans ma maison, puisque c’est moi qui l’ai construite ; personne ne pourra t’en chasser. » Par ailleurs, s’il advenait que le gendre ait accompli des actes malhonnêtes, le beau-père le chassait de la maison.
Le divorce ne nécessitait aucune formalité, semble-t-il, ni la rédaction d’un document quelconque : il prenait effet par la seule répudiation orale d’un des conjoints par l’autre membre du couple (coutume encore conservée de nos jours sur les bords du Nil] il y a peu de temps, alors qu’il suffisait de répéter par trois fois « je te répudie »).
Mais un écrit de validité pouvait être remis par l’époux à son ex-femme. Dans ce « document-de-divorce » (qui n’est pas constitutif, mais simplement d’information) le mari renonce à son droit à l’union conjugale et déclare solennellement à sa femme qu’il lui laisse toute latitude de se remarier. Sans l’obtention de ce texte, la sagesse populaire avertit de se méfier : « N’épouse pas une femme dont le mari est encore vivant, de peur qu’il ne devienne ton Mariage, polygamie, polyandrie...ennemi [...] Cela serait dangereux et même risquerait de t’exposer à des accusations d’adultère. »
Le divorcé
Reste alors la situation, plus rare, mais aussi valable, dans laquelle se trouve un époux répudié par sa femme. Il pouvait, s’il n’était pas le fautif, recevoir la moitié du « cadeau-pour-lafemme » (qu’il avait entièrement remis au moment du mariage). Suivant les cas, il récupérait, comme prévu, au moins les deux tiers des acquêts en commun ; parfois même, le tiers réservé normalement pour la femme lui revenait aussi.
LES AVERTISSEMENTS AUX FUTURS CONJOINTS
A la veille de prendre femme, le jeune Égyptien ne se voyait pas ménager les conseils que son père lui prodiguait en se référant à la sagesse ancestrale du célèbre Ptahhotep, reprise par le scribe Ani [14] : « N’épie pas ta femme dans sa maison si tu sais qu’elle est vertueuse. Ne lui dis pas : Telle chose, où est-elle ? Apporte la-nous ! Lorsqu ?elle est mise à la bonne place. Que ton oeil observe tandis que tu gardes le silence. Apprécie sa valeur. C’est la joie quand ta main est unie à la sienne. Il y en a beaucoup qui ignorent [comment] un homme fait cesser la cause de querelles dans sa maison et n’en rencontre pas non plus l’auteur. Une querelle quelconque se prépare-t-elle dans la maison ? Alors, que le coeur se raffermisse aussitôt ! » (Sagesse d’Ani, 8, 4-5.)
De telles paroles pouvaient certes aider grandement aux premiers temps de cohabitation pendant lesquels les tempéraments des conjoints avaient à s’accorder avec les inévitables affrontements et petits heurts de la vie journalière. Mais le scribe Ani pensait aussi au devoir qui incomberait vite au nouvel époux au regard de ses enfants : « Tandis que tu es jeune, tu prend femme et tu vas établir ta maison : veille sur tout ce que tu engendreras, sur ce que tu vas nourrir comme une créature de ta mère. Qu’elle n’ait pas à te blâmer, ni à élever les bras vers le dieu, ni celui-ci à écouter sa plainte [15] ! " Les recommandations ne manquaient pas pour exalter l’entente du couple et la fidélité du mari envers l’épouse sur qui devait reposer les charges de la maison : « Si tu es sage, garde ta maison, aime ta femme sans mélange, nourris-la convenablement, habille-la bien. Caresse-la et remplis ses désirs. Ne sois pas brutal, tu obtiendras bien plus d’elle par les égards que par la violence. Si tu la repousses, ton ménage va à vau-l’eau. Ouvre-lui tes bras, appelle-la ; témoigne-lui ton amour. » Mais un doute subsiste toujours qui doit prémunir le jeune marié contre une fausse quiétude, et l’inciter à ne jamais relâcher ses efforts.
« On n’apprend pas à connaître le coeur d’un frère quand on n’a pas fait appel à lui dans la misère. » [...]
« On n’apprend pas à connaître le coeur d’un serviteur avant le jour où son maître est ruiné. » [ ...]
« On n’apprend pas à connaître le coeur d’une femme, pas plus que quiconque ne connaît le ciel [16]. »
La prospérité de la demeure dépend du bonheur de la « maîtresse de maison », ce « champ fertile ». Et le jeune époux ne devra pas davantage oublier que les « parfums et les fards sont des remèdes magiques ».
Un foyer harmonieux, de nombreux enfants, une femme aimante, tel était réellement le voeu que formulaient la majorité des Egyptiens. L’amour conjugal représentait en général pour eux l’idéal à atteindre, et ils étaient aidés en cela par l’application d’une morale qui leur .avait été inculquée dès leur première instruction et jouait, en Egypte, un rôle beaucoup plus important que dans toute autre civilisation de l’Antiquité.
Quant à la jeune fille, toute à l’euphorie des instants qu’elle vivait, affairée à composer son" trousseau » et à bavarder plus que de coutume avec celles de ses amies qui avaient connu avant elle les joies de l’amour, elle recevait aussi les matrones chargées de la conseiller utilement et de la préparer à son futur état de femme. Sa mère complétait ce panorama en lui rappelant l’enseignement de Maât, qui tempère la fougue du verbe et permet, dans la réflexion silencieuse, de trouver la voie juste en toute circonstance, un jugement équilibré, digne de celle qui deviendra le pivot du foyer, la mère aux multiples responsabilités. Alors était évoquée la grande Isis, prototype absolu de l’épouse et celle qui met au monde, et dont l’amour, la fidélité et la sollicitude ne faillirent jamais. La bénédiction d’Hathor était également invoquée, car « elle donne aux femmes des fils et des filles, sans que maladie ni besoin ne les touchent ». La jeune femme ne devra jamais omettre de dire des prières pour les défunts, car Hathor, Dame de l’Occident, protège les femmes de la stérilité et empêche les maris de devenir impuissants.
CONDAMNATION DE L’ADULTÈRE
Le mariage était donc considéré comme l’idéal social et rien ne devait pouvoir entraver son déroulement harmonieux pourvu que les deux acteurs de ce simple "agrément mutuel" suivent la voie de Maât, donnée fondamentale de la conscience humaine. Aussi l’infidélité dans cette union revêt une telle gravité qu’on’ la présente aux fiancés comme le « grand crime ». A l’un et à l’autre on rappelait le sort de l’amant et de la femme adultère et ce qui leur était arrivé lorsque, le mari ayant appris la faute, le roi Kheops lui-même approuva sa punition « par le crocodile » (papyrus Westcar). Apparemment cette menace pouvait encore peser sur la société du Nouvel Empire -époque où nous allons assister à l’union des deux jeunes gens -puisque dans un conte contemporain (Vérité et Mensonge) le fils même d’une femme qui avait mené une vie dissolue apostrophe sa mère en ces termes : « Cela mériterait de rassembler les gens de ta famille et d’appeler le crocodile. » La jeune fille devait être bien convaincue de l’énormité de la faute lorsqu’elle se souvenait du Conte des deux frères dont l’héroïne -une femme, sur la seule intention de tromper son mari -avait été punie de mort, de la main de ce dernier. A ces rappels s’ajoutait encore la mise en garde du vieux maître à son élève : « Garde-toi de la femme étrangère que personne ne connaît dans la ville. Ne regarde pas lorsqu’elle suit son compagnon, ne la connais [Surtout] pas charnellement [...] C’est une eau profonde dont on n’a encore pu sonder le fond [...] Elle s’arrête, elle prend au filet : [C’est un] crime qui amène la mort si on l’apprend, parce qu’elle n’a pas su garder le secret [17]. »
La condamnation théorique
L’un et l’autre des futurs époux étaient donc concernés, la justice pouvait frapper les deux coupables, aussi bien sur terre que devant le tribunal divin lorsque le passage vers la rive d’Éternité était demandé : « Je n’ai pas commis l’adultère [18] », met-on dans la bouche de celui -ou que celle -qui récite la célèbre « déclaration d’Innocence » du chapitre CXXV du Livre des Morts. En fait, si le mariage et éventuellement le divorce sont des événements sanctionnés uniquement dans l’atmosphère familiale par la seule volonté des époux, sans aucune intervention de l’Administration, comme n’importe quel agrément d’association personnel ou financier, l’adultère, en revanche, est passible du tribunal : le jugement est suivi d’une peine qui, pour l’homme, considéré comme le « violeur », était l’émasculation, et pour la femme consentante, le nez coupé, ce qui devait la défigurer et la priver désormais de tout charme. Si le « crime » avait été consommé sans violence, l’homme recevait seulement cent coups de bâton ! Mais cela nous est rapporté par Diodore ; ailleurs, on trouve la menace pour l’homme de la mutilation de son nez et de ses oreilles, de travaux forcés et pour la femme, de bannissement en Nubie.
La pratique
Cependant, dans la pratique, il existait une marge assez grande entre les textes édifiants et la réalité. On a bien vu à quel point pouvait être relâchée et même dissolue la vie de certains ouvriers de Deir el-Médineh, mariés réellement, ou vivant en concubinage (cf. Divorce). La liberté des moeurs était grande dans ce petit monde et les magistrats, conciliants et très compréhensifs : on en juge par cette anecdote survenue, encore, à Deir el-Médineh. Cela n’était pas courant, mais pouvait arriver : un homme, s’étant lié à une femme par le mariage, n’habitait pourtant pas avec elle. Chacun des conjoints vivait au domicile de son propre père. Et voici qu’un jour l’époux surprit sa femme couchant avec un marin appelé Méry-Sékhmèt, fils de Menna. S’étant plaint aux magistrats, ces derniers lui donnèrent tort, mais les amants furent à leur tour pris en faute par un témoin. En fin de compte, le scribe se retourna vers le marin coupable et lui fit promettre de ne plus parler à la femme ; son propre père obtint de lui le même engagement sous peine d’encourir les travaux forcés. La mansuétude des juges pouvait être due au fait que les époux ne vivaient pas ensemble et que peut-être le mariage n’avait pas été consommé. Quoi qu’il en soit, cette conclusion n’étonne pas trop et l’adultère n’était, en réalité, pas toujours aussi sévèrement sanctionné qu’on l’a prétendu. N’existait-il pas, même dans ce monde mythologique lourd d’enseignements, des exemples où Nephtys, soeur et amante de Seth, lui fit des infidélités en provoquant Osiris qui la prit comme concubine l’espace d’un moment ?.. Aussi n’est-il pas obligatoirement question de l’application de la peine pour la femme qui, pour se disculper, déclarait avoir été séduite. Elle était alors considérée comme ayant subi une sorte de viol, et dans ces circonstances, son mari n’était pas obligé de porter plainte contre elle : pourtant elle se trouvait parfois enceinte après son aventure !
Les « tribunaux » eux-mêmes allaient même jusqu’à faire preuve de faiblesse. On cite une histoire d’adultère qui se solda par le serment demandé au coupable de suivre désormais une conduite exemplaire pour éviter la peine de mutilation. Il récidiva néanmoins et rendit enceinte la « belle ». Nouveau verdict montrant l’esprit de conciliation extrême de ces « tribunaux de témoignage et d’arbitrage », plutôt que cours de jugement capables d’imposer des peines : on exigea seulement un nouvel engagement : s’abstenir, car il allait, sinon, encourir une « lourde peine » !
En d’autres circonstances, un fautif s’obstina à nier son acte répréhensible, à cinq reprises au cours de cinq oracles différents. Il n’avoua, en définitive, qu’après avoir été battu et... sous la pression de l’opinion publique ! L’idéal [19] « était toujours de juger les litiges de façon que les deux parties s’en aillent satisfaites, et pour cela tenir compte de cette opinion publique »,
Au reste, les menaces de mort contre l’adultère relèvent surtout de l’éventuel esprit de revanche du mari trompé, dont Diodore s’était également fait l’écho, mais non pas d’une procédure devant le tribunal, A l’évidence la « faute » était de s’attaquer à une femme mariée, car il se mêlait aussi un sentiment d’offense et de déshonneur pour le conjoint. Ce que le sage Ankhshéshonq, bien après les premiers textes moralistes, s’efforce d’enseigner est la position officiellement sanctionnée par la colère immédiate du mari trompé ou même de la famille proche : « Quant à celui qui fait l’amour (méri) avec une femme qui possède un époux, il est tué (ou : il peut être tué) sur la marche de sa porte (à la femme) », Mais il faut aussi tenir compte d’une autre sorte d’avertissement :
ne fais pas ce que tu ne voudrais pas qu’on te fasse. En effet, il continue : « Ne copule pas avec une femme mariée. Celui qui copule avec une femme mariée, dans son lit, sa propre femme pourrait, à son tour, être violée au sol ! »
Durant cette Basse Époque, où une certaine doctrine rigoriste s’est assouplie, un visible bienveillance atténue nombre de positions. Ankhshéshonq tente d’excuser la faiblesse humaine devant la passion, et la tolérance se montre moins romantique que réaliste. Ne va-t-il pas jusqu’à conseiller à l’infortuné trompé de négliger l’offense et de divorcer simplement pour prendre une autre femme ! Il lui recommande également de faire un retour sur lui-même et de s’interroger : n’a-t-il pas été négligent envers son épouse ? Ne serait-il pas au fond passible d’un blâme ?
Mais il était indispensable que subsistât la « crainte du gendarme », et c’est ce souci très louable qui rend si imprécise l’application des sanctions à l’égard de ce que l’on continuait à appeler le « grand crime, car il faut avant toute chose maintenir l’ordre public en veillant à la sécurité de chacun et en s’efforçant
d’éviter les « vendettas » entre le clan des offenseurs et celui des offensés. Aussi un papyrus célèbre du temps de Ramsès III [20] conserve-t-il l’affirmation édifiante à ce sujet, que « la femme d ?Egypte pouvait aller partout où elle voulait sans être molestée. »(L ?Etat garantissait du viol !).
LE MARIAGE
On a vu que le mariage ne dépendait d’aucune loi, c’était un agrément strictement personnel passé entre les deux intéressés, un simple pacte social. Il y a cent ans encore [21], la simple phrase « je me donne à toi » prononcée par la femme pubère à l’homme qui se proposait de devenir son mari -avec ou sans présence de témoin la rendait épouse légale. De nos jours encore, surtout dans les campagnes égyptiennes, les musulmans remarquablement fidèles à la coutume millénaire se contentent de la formule : « je t’accepte comme mari, je t’accepte pour femme », mais formule maintenant déclarée devant cet agent religieux d’enregistrement appelé le maazoum, et deux témoins.
L’agrément
Qu’en était-il à l’époque Pharaonique ? On sait seulement que chacun des deux membres du futur couple, l’un après l’autre, devait prononcer les mots consacrés par l’usage : « je t’ai faite ma femme, tu m’as faite ta femme ».
Au préalable, le jeune homme était venu entretenir le père de celle qu’il désirait prendre pour femme dans certains cas, cela paraît sûr, le père s’entendait directement avec celui qu’il avait choisi pour assurer le bonheur de son enfant et passait avec lui une sorte de convention, comme on l’a vu. C’était ensuite la cohabitation qui légalisait, de fait, toute union : la fille quittait la maison de ses parents pour entrer dans celle de son mari. Dans quelques très rares exceptions, ce dernier, en revanche, venait s’installer chez sa femme, lorsque celle-ci était beaucoup plus riche que lui, mais cela était en principe fortement déconseillé.
Il faut se garder d’interpréter l’événement avec notre mentalité d’Occidentaux modernes. Pas plus le droit canonique que le droit privé n’était en cause à cette occasion : il faut définitivement rejeter la suggestion [22] d’une « bénédiction nuptiale », dans le temple. La garantie la plus forte pour assurer les liens conjugaux était le désir d’entretenir la famille dans une atmosphère de sécurité, grâce à une bonne entente et à la mise au monde d’enfants légitimes, sécurité encore renforcée par les exigences des « contrats de mariage » susceptibles d’être conclus après l’union, parfois sept années de « cohabitation » contrats d’origine thébaine, et qui rendaient souvent irréalisable le désir que le mari aurait pu avoir de se séparer de sa « maîtresse de maison ». Les conditions Le mariage devait être contracté entre personnes libres, aussi avons-nous signalé le cas où un prisonnier de guerre, espérant épouser une Égyptienne, fille d’un barbier de Thoutmosis III, devait être affranchi au préalable. On devait également « libérer » une serve afin qu’elle puisse se marier avec un « homme citoyen ».
Essai de reconstitution d’un mariage.
La plupart des personnes en « servitude » vivaient en « union libre », ce qui veut dire que la femme ne portait naturellement pas le titre de maîtresse de maison. Le même régime était souvent adopté par les artisans de la nécropole thé bai ne à Deir el-Médineh. Pourtant, chez les gens modestes l’union maritale existait aussi. On désignait l’épouse comme la femme. hémèt, ou encore « la vêtue », hébésout [23]. Aussi dans un milieu fort pauvre, on a pu rencontrer l’exemple d’un gardien d’oies qui contracta vraiment mariage, mais pour une durée de neuf mois à l’issue desquels il remit à sa femme une certaine somme d’argent [24].
Renouvelant ainsi pour le pérenniser ce qui avait été de son vivant la raison de son existence. De nos jours les danses du ventre traditionnellement exécutées durant la cérémonie du mariage au son de l’orchestre local, au rythme de plus en plus endiablé des crotales, sont le reflet des concerts et des danses qui devaient être les accompagnements essentiels et les allusions plastiques à l’extase amoureuse. Dans les campagnes et jadis en Nubie, chansons et danses exécutées par les femmes du village se faisaient dans une sorte de cercle magique limité par les membres de la communauté. Les chants de mariage fort beaux et a cappella, quasiment « grégoriens », s’élevaient en chaudes et graves vibrations vers le bleu sombre de la nuit étoilée.
Un autre point qui devait être commun entre le cérémonial d’aujourd’hui et celui d’hier en Egypte : le défilé du « trousseau » de la jeune épousée. A considérer le parallélisme évident entre les mariés « assis » de l’Antiquité, les groupes dits funéraires, et la présentation encore actuelle des mariés de l’Egypte moderne, on ne peut s’empêcher d’établir une similitude d’un côté entre la liste du « trousseau » de l’épouse, cité dans la plupart des contrats de l’Antiquité (chaque objet accompagné de la mention de sa valeur) et le défilé du « trousseau » des mariées actuelles, dans les faubourgs du Caire ou de la campagne, et, par ailleurs, celui du « mobilier » du défunt apporté dans sa chapelle d’éternité pour son hymen avec la déesse Hathor. Toute proportion gardée, il s’agit de spectacles semblables et quasiment parallèles les vociférations des pleureuses antiques, remplacées par les « youyou » des amies de la mariée où l’on voit
Les époux dont nous allons maintenant imaginer la vie sont issus de deux familles aisées à la phase la plus brillante du Nouvel Empire, qui s’inscrit entre le dernier tiers de la XVIIIe dynastie et les temps de Ramsès II. Des allusions dans les textes de Basse Epoque [25] nous laissent penser qu’au moins durant cette époque, le jour dit, à la nuit tombante, le père de la mariée la faisait conduire publiquement à la maison du futur gendre, accompagnée de présents. A son tour le garçon donnait une grande fête où étaient conviés nombre d’invités également chargés de cadeaux. Après ces festivités, les conjoints commençaient leur vie commune [26]. II suffit d’abord de se reporter au terme égyptien qui évoque, quelle que soit sa nature, le mariage : hémès, ou hémésy ou encore hémésy-irèm, littéralement « s’asseoir », « s’asseoir avec » d’où l’extension du terme, cohabiter, vivre ensemble. La réflexion à mon sens mériterait d’être poussée plus loin, et même jusqu’à la signification première du terme : « s’asseoir avec ». On ne peut alors s’empêcher de penser aux cérémonies de mariage qui ont encore lieu de nos jours aussi bien à la campagne qu’au Caire et qui se traduisent par un véritable rassemblement des invités et de la multitude des membres de la famille, entourant dans une grande salle de réception le couple comme « exposé » sur une estrade, l’homme et la femme, côte à côte dans des fauteuils, de préférence dorés ! Ils doivent figurer assis, le jeune homme dans un costume sombre, elle, éclatante de fards, vêtue de satin ou de faille, scintillante de bijoux ou de pacotille, auréolée à profusion de tulle, et tous deux entourés de fleurs. La compagnie festoie et se congratule, les époux sont exposés, statiques, comme sujets essentiels d’une présentation... hors du temps. Ne seraient-ce les atours modernes, on se croirait à devant le groupe princier de Rahotep et de Nofrèt. Au Nouvel Empire toutefois les attitudes se sont parfois assouplies et le mouvement du bras, la direction du pied de la femme ou l’inclinaison d’une boucle de sa coiffure conduit, seul, un oeil exercé à saisir l’intention du sculpteur qui a voulu, par cela, suivant l’extrême réserve égyptienne, suggérer l’attraction entre les deux êtres, ou même, par un geste de séduction de la femme, une allusion à peine perceptible à l’incitation à l’amour [27].
Il semble évident que tous les groupes provenant des chapelles des tombes constituent les innombrables jalons de cette union éternelle prolongée après la mort, et désirée par chaque Égyptien, tour à tour, exhibés dans les rues, en procession sur les épaules des parents, des amis et des serviteurs, le lit et son confortable matelas, dominé par le « chevet », le fauteuil, la chaise, les coffres à vêtements et à bijoux (colliers, bracelets, bagues), les ustensiles du ménage et les vases à onguent, les objets de toilette, les vêtements, les sandales en peau blanche, etc. Dans la liste des objets de ménage apparaît toujours un vêtement ou une grande pièce d’étoffe qui n’est mentionné que dans ce genre d’inventaire. On a pu se demander s’il ne s’agissait pas d’une sorte de tissu rituel propre à la mariée [28] ? Il semble difficile de l’assimiler à un drap, mais il paraît plausible de penser qu’il était destiné à être mis en réserve en prévision de son usage éventuel de linceul (comparer le tissu-éponge dont tout musulman, fût-il le plus haut personnage, s’entoure le corps en pèlerinage, pour lui servir de suaire au cas où il décéderait durant son voyage à La Mecque). Une autre explication se rapprocherait peut-être davantage de la réalité, si l’on se réfère à un article essentiel encore cité dans le trousseau des Dames du temps des Sultans Mamelouks en Égypte, constitué au moment de leur mariage : il s’agissait d’une moustiquaire ! Le fait est loin d’être impossible pour les temps pharaoniques puisqu’on en a trouvé des exemples au début de l’Ancien Empiredans le mobilier de la mère de Kheops et, plus tard, dans celui de Toutânkhamon. L’emploi d’une telle pièce d’étoffe est également, chez des civils, évoqué aux murs de certaines chapelles funéraires de l’Ancien Empire.
Bref, il y avait là, pour la jeune femme, de quoi remplir avec éclat ses engagements et meubler correctement la chambre à coucher, l’office et la cuisine : tout le monde devait pouvoir admirer la qualité et la variété des biens dont sa famille l’avait comblée. Il ne serait pas étonnant que, pour suivre une Coutume profondément enracinée dans la mentalité du pays, lorsqu’il s’agit d’une célébration quelconque habitude rituelle constatée encore de nos jours, surtout dès que l’on s’éloigne tant soit peu des grandes villes, le couple qui allait être fêté durant la soirée se soit rendu dès le début du jour sur la tombe de la famille. Mais il avait, de surcroît, pour « pasticher » sur le plan civil la théogamie royale adressé une Supplique au parent mâle, père ou plutôt grand-père, le plus récemment décédé, en lui demandant la naissance d’un enfant. « Inspirant » ainsi la conception de l’héritier à venir, l’ancêtre permettait la continuité de la lignée. De petites statuettes de femmes à la fastueuse coiffure ont, de fait, été retrouvées près de certaines tombes, portant l’image d’un nouveau né dans les bras, mais aussi aux jambes marquées à l’encre de la prière adressée à l’aïeul pour qu’il « inspire » et « provoque » cette nouvelle vie.
La fête se devait d’être mémorable pour une union contribuant à perpétuer, non seulement une cellule de la grande famille, mais de surcroît la population du pays. Au reste, le mot « fête » en égyptien, hêb, s’est conservé en copte qui constitue l’ultime expression de la langue égyptienne écrite en lettres grecques sous la forme hôp, et signifie non seulement « fête » mais spécialement « fête de mariage ».
Le mariage dans le conte de Khaemouas
Et voici comment se déroulèrent les fameuses festivités de mariage à laquelle Pharaon s’était intéressé, décrites dans le conte de Khaemouas :
« Pharaon dit au chef de la maison royale.. « Qu’on amène Ahouri à la maison de Nénofèrkaptah cette nuit même. Et qu’on emporte toute sorte de beaux cadeaux avec elle. « Ils m’emmenèrent comme épouse à la maison de Nénofèrkaptah, et Pharaon ordonna qu’on m’apportât une grande dot en or et en argent que me présentèrent tous les gens de la maison royale. »
« Nénofèrkaptah passa un jour heureux avec moi. Il reçut tous les gens de la maison royale, et il dormit avec moi, cette nuit même. II me trouva vierge, et il me connut encore, et encore, car chacun de nous aimait l’autre. »
« Quand vint le temps de mes purifications, voici que je n’eus pas de purifications à faire. On l’alla annoncer à Pharaon et son Coeur s’en réjouit beaucoup. II fit prendre toutes sortes d’objets précieux sur les biens de la maison royale et il me fit apporter de très beaux cadeaux en or, en argent et en étoffe de lin fin. »
« Quand vint pour moi le temps d’enfanter, j’enfantai ce petit garçon qui est devant toi. On lui donna le nom de Maïhêt, et on l’inscrivit sur les registres de la « Double Maison de Vie »
L’identité de la femme mariée
Une fois mariée la femme ne changeait pas de nom et n’accolait même pas au sien celui de son mari. Elle était toujours authentifiée par sa propre généalogie : enfantée par une telle et faite (ou procréée) par un tel.
En revanche, et dans certains cas, il arrivait qu’on la désignât comme : l’ « épouse d’un tel ».