L’énigme de Tell Al-Dabea
Article mis en ligne le 19 juin 2024
dernière modification le 6 mai 2024

par Amira Samir

Fouilles . La mission archéologique de l’institut autrichien a mis au jour à Tell Al-Dabea, dans le Delta, les fondations d’un palais datant de l’époque de Thoutmosis III. S’ajoutant à d’autres révélations, ces découvertes font de ce site l’un des plus intéressants d’Egypte.

La mission de l’Institut d’archéologie autrichien dirigée par son directeur et professeur à l’institut d’égyptologie de l’Université de Vienne, Manfred Bietak, vient de mettre au jour les bases des fondations d’un palais datant de l’époque de Thoutmosis III sur le site de Tell Al-Dabea, à 6 km de Faqous, à Charqiya, dans l’est du Delta. Ce n’est pas le premier palais que découvre la mission de l’institut puisqu’elle opère dans la région depuis 1966. Les Autrichiens avaient déjà révélé, toujours sur le même site, les pierres de fondation de deux grands palais datant de la même époque. « Ces deux palais ont été construits semble-t-il à l’époque de Thoutmosis III, qui est un des plus célèbres pharaons de la XVIIIe dynastie, du Nouvel Empire, et qui a régné sur l’Egypte plus de 54 ans. Les fondations des palais montrent qu’ils étaient construits avec de la terre cuite », souligne Mohamad Abd-Rab Al-Nabi, l’inspecteur archéologique égyptien accompagnant la mission archéologique autrichienne. Et ce n’est pas tout puisqu’à chaque fois que les excavateurs avançaient dans leurs travaux, ils faisaient de nouvelles découvertes. Parmi les plus importants vestiges retrouvés figure un tableau représentant une scène d’acrobates sur des taureaux, (sorte de corrida) peints sur un fond orné d’un motif de labyrinthe. On suggérait que ce motif symbolisait le palais de Cnossos. « Les couleurs utilisées, la technique de peinture, tout renvoie au style des fresques de Cnossos, en Crète. Dans certaines fondations des salles des palais, on découvrira aussi de la pierre ponce, roche volcanique venue de Santorin, et un os de calamar géant de près d’un mètre de long », explique Manfred Bietak. Du coup, les fresques de style crétois découvertes par l’équipe autrichienne reposent en effet la question des relations culturelles entre l’Egypte, l’Asie et le monde grec. L’attribution de ces fresques à des peintres crétois itinérants suppose en effet une grande mobilité des artistes à cette époque.

Le mystère de la fresque des acrobates

Les recherches effectuées par l’institut autrichien supposent que ces palais n’ont été habités que durant trente ans. Des questions se posent. Que faisaient ces peintures en plein coeur de l’Egypte ? Un pharaon singulier a-t-il pris une épouse crétoise qu’il a installée ensuite dans ce palais ? Un grand commerçant a-t-il envoyé un de ses courtiers explorer le marché au bord du grand fleuve, entre Méditerranée et Haute-Egypte ? La fresque a-t-elle une signification religieuse et annonce-t-elle un nouveau culte ? Il est vrai que la fresque est extraordinairement belle, délicate, et ses couleurs vibrent d’un immense talent, mais elle informe très peu. Malgré les études des savants autrichiens, la fresque de l’acrobate au taureau reste une formidable énigme. Parmi les découvertes les plus intéressantes sur le site figure un cimetière dont les sépultures trouvées révèlent qu’elles étaient d’origine syro-palestinienne. D’après les études, ses occupants étaient probablement les « maîtres des terres étrangères ». Ils étaient chargés d’organiser le commerce et les expéditions minières à l’étranger. « Les premiers occupants cananéens étaient probablement des soldats, suivis par des dignitaires, des artisans, des marins, des caravaniers au service de la couronne d’Egypte. Un palais de la XIIIe dynastie, où résidaient de hauts dignitaires, nous semble particulièrement intéressant ici », estime-t-il. « En fouillant encore, on a retrouvé les témoignages des combats près du mur d’enceinte : trente-cinq crânes portent des traces de traumatisme, deux squelettes d’hommes jeunes et vigoureux et des morceaux de membres abandonnés dans les fossés », reprend-il.

Les Hyksos à Tell Al-Dabea

D’autre part, la mission autrichienne qui opère sur le site depuis les années 1960 a mis au jour d’importantes trouvailles concernant la ville d’Avaris, la capitale des Hyksos sous la XVe dynastie. Il s’agit en fait du site principal de fouilles de la mission archéologique autrichienne en Egypte. Le site, qui est d’une superficie d’environ 2,5 km2, ne constitue que la partie sud de Pi-Ramsès, qui était la résidence de Ramsès II durant la XIXe dynastie dans le Delta. Les fouilles de Tell Al-Dabea ont été réalisées dans une zone longeant les rives de l’ancienne branche pélusiaque du Nil. « Les découvertes de la mission autrichienne ont en effet permis de renouveler la connaissance des spécialistes de la période des Hyksos. Elles apportent de nouveaux éléments de datation pour la transition entre le bronze utilisé à cette époque et celui utilisé en Syrie, en Palestine et dans le monde égéen, comme la Crète et les îles du littoral anatolien », souligne Mohamad Al-Qadi, chef des inspecteurs de la zone archéologique du nord de Charqiya. Le site dominant le fleuve fut fortifié à la période des Hyksos par un mur à contreforts, qui mesurait autrefois 6,20 m de large à la base et élargi par la suite à 8,5 m. Les principaux vestiges de la citadelle des Hyksos ont été largement détruits en dépit de la construction d’une autre au début de la XVIIIe dynastie. « Les fouilles de l’Institut archéologique autrichien du Caire, en collaboration avec l’institut d’égyptologie de l’Université de Vienne, ont permis de mettre au jour des tombes datant de différentes époques allant de la fin de la XIIe dynastie à la période des Hyksos », explique Bietak.

Si l’installation pacifique de populations asiatiques dans la région du Delta est un phénomène habituel à l’époque, l’invasion des Hyksos prend la forme d’une vague plus massive, favorisée par la faiblesse des dynasties égyptiennes. Leur arrivée provoque la chute des XIIIe et XIVe dynasties et coïncide avec la fin du Moyen Empire. Avec l’occupation des Hyksos commence la seconde période intermédiaire de l’histoire de l’Egypte Ancienne. Leurs chefs prennent la titulaire des pharaons, fondant ainsi la XVe dynastie, et installent leur capitale à Avaris, l’actuel Tell Al-Dabea. Cependant, leur domination ne s’étend pas à tout le pays : les Hyksos règnent sur une partie du Delta et sur la partie nord de la Moyenne-Egypte. Dans le Delta même, certains princes échappent à leur influence et forment, selon Manéthon, prêtre et historien égyptien du IIIe siècle av. J.-C., la XVIe dynastie. La Haute-Egypte, dont Thèbes est la capitale, reste également aux mains des pharaons égyptiens de la XVIIe dynastie, qui entreprennent de reprendre le pays aux Hyksos. L’un d’entre eux, Ahmosis, qui est aussi considéré comme le fondateur de la XVIIIe dynastie, vainc les Hyksos vers 1570 av. J.-C. et rend à l’Egypte son indépendance. Avec l’expulsion des Hyksos s’ouvre la période du Nouvel Empire.

Amira Samir