Le méroïtique
Article mis en ligne le 26 octobre 2013

Le méroïtique est une langue qui fut parlée dans le royaume de Koush - au nord de l’actuel Soudan - depuis la fin du IIIe siècle av. J.-C. jusqu’au Ve siècle ; elle fut également écrite à partir du IIe siècle av. J.-C.. Ce fut la langue des pharaons koushites de la XXVe dynastie. L’alphabet méroïtique possède deux écritures distinctes : l’une hiéroglyphique, l’autre cursive. Bien que les signes aient été ? déchiffrés en 1911, la langue reste en grande partie incompréhensible. Depuis le XIXe siècle, plusieurs milliers de textes méroïtiques ont été découverts sur des sites de Nubie égyptienne et du Nord Soudan.

Famille de langues

Le peu de vocabulaire connu rend difficile la classification linguistique. En 1964, l’archéologue canadien Bruce Graham Trigger proposa d’intégrer le méroïtique au groupe soudanique oriental, une branche du nilo-saharien. Récemment, le docteur en égyptologie et chercheur au CNRS Claude Rilly, considéré comme le spécialiste mondial du méroïtique [1], a classé ce dernier dans le groupe soudanique oriental nord (en), lui même une subdivision du groupe soudanique oriental. Le groupe soudanique oriental nord rassemble en outre le nara d’Éthiopie, le taman parlé à la frontière Tchad-Darfour et le nyimang (en)/afitti (en), groupe de deux langues parlés dans les monts Nouba au Soudan [2].

Stèle de l’Adoption du roi Aspelta, vers -590 rédigée en égyptien hiéroglyphique.

Systèmes d’écriture

Il y a quatre voyelles (/a/, qui n’est utilisé qu’en début de mot, /e/, /i/, /o/ ), quinze consonnes couplées avec /a/ (/ya/ /wa/ /ba/ /pa/ /ma/ /na/ /ra/ /la/ /cha/ (prononcé comme le ich allemand) /kha/(comme dans Bach en allemand) /ka/ /qa/ /sa/ ou /sha/ /ta/ /da/). Il y a enfin quatre symboles syllabiques purs, et donc non modifiables par un symbole-voyelle subséquent : /n(y)e/, /se/ ou /s/, /te/ et /to/.

C’est une écriture phonographique et tant les voyelles que les consonnes sont transcrites. Ce n’est néanmoins pas une écriture alphabétique, mais un alphasyllabaire (similaire dans son principe aux écritures brahmiques qui se sont diffusés dans de nombreuses forme de l’Inde au sud-est de l’Asie), car les signes transcrivant les consonnes représentent la consonne et la voyelle implicite /a/, sauf si ce signe est suivi du signe particulier de l’une des trois autres voyelles /i/, /e/ ou /o/. Il existe également un signe particulier séparant les mots.

Il existe deux formes de cet alphabet :

 la 1re, l’écriture méroïtique hiéroglyphique, est basée sur l’écriture égyptienne hiéroglyphique,
cette forme est écrite verticalement et de haut en bas, parfois aussi horizontalement ;
 la 2e, l’écriture méroïtique cursive, est basée sur l’écriture égyptienne démotique,
cette forme est écrite horizontalement et de droite à gauche.

Déchiffrement

Après une expédition à Méroé, l’explorateur et minéralogiste français Frédéric Cailliaud publia en 1826 les premières copies de texte méroïtiques. L’écriture étant inconnue, les textes ne purent pas être lus phonétiquement. En 1911, l’égyptologue britannique Francis Llewellyn Griffith réussit à déchiffrer les signes des deux alphabets méroïtiques [3]. Ensuite, par comparaison avec des textes pharaoniques et grecs, il parvint à isoler différents mots méroïtiques tels des noms de villes, dieux et rois. À partir de ces données il identifia plusieurs termes purement méroïtiques comme ato (eau), at (pain), qore (roi), abr (homme), kdi (femme), mlo (bon) etc. Il dégagea également plusieurs règles grammaticales simples et distingua le suffixe du génitif et les articles singulier et pluriel. C’est ainsi que plusieurs portions des textes funéraires écrits en cursive purent être déchiffrés. Malgré ces avancées significatives, d’autres textes, moins stéréotypés, notamment les stèles concernant les hauts faits des rois et des reines de Méroé, restèrent indéchiffrables. Poursuivant le travail de Griffith, les linguistes se tournent aujourd’hui vers la comparaison linguistique, espérant reconstruire la morphologie et le lexique méroïtiques à l’aide de langues apparentées parlées aujourd’hui dans le nord du Soudan [4].

Au Soudan à El-Hassa temple du roi Amanakhereqerem : découverte de cinq béliers de grès dont trois portent des inscriptions permettant de décrypter le méroïtique

En novembre 2008, René-Pierre Dissaux et Vincent Rondot découvrent cinq béliers de grès dont trois portent des inscriptions qui permettent de décrypter un peu plus la langue méroïtique qui s’écrit en hiéroglyphes et en cursives. Ils apprennent ainsi que le temple en cours de fouille est celui du roi Amanakhereqerem de la fin du Ier siècle [5]

Bibliographie

 Claude Rilly, La langue du royaume de Méroé : Un panorama de la plus ancienne culture écrite d’Afrique subsaharienne, Éditions Honoré Champion, 2007, (ISBN 978-2745315823).
 Claude Rilly, Le méroïtique et sa famille linguistique, Éditions Peeters, 2010.
 (en) Claude Rilly, « The Linguistic Position of Meroitic », Sudan Electronic Journal of Archaeology and Anthropology, mars 2004.
 Collectif sous la direction de Jean Leclant, Répertoire d’épigraphie méroïtique : corpus des inscriptions publiées, Académie des inscriptions et belles-lettres, 2000, (ISBN 2877541134).
 (en) Derek A. Welsby, The Kingdom of Kush, British Museum Press, Londres, 1996, (ISBN 071410986X)
 (de) Gerhard Böhm, « Die Sprache der Aithiopen im Lande Kusch » dans Beiträge zur Afrikanistik, 34, Vienne, 1988, (ISBN 3-85043-047-2)