Le papyrus Harris l, texte funéraire ou politique ?
Article mis en ligne le 8 avril 2006

Le papyrus Harris l, ou Grand Papyrus, est un des documents les plus singuliers de l’Égypte ancienne. Exceptionnel par sa taille et son contenu, il suscite de multiples interrogations depuis la fin du XIXe siècle.

Le papyrus Harris est un document exceptionnel. Exceptionnel par sa taille, car c’est le plus grand papyrus connu. Exceptionnel par son contenu, car c’est le plus vaste texte, inspiré des autobiographies funéraires traditionnelle, composé pour commémorer la mémoire d’un pharaon. C’est ainsi qu’il a pu être comparé aux Res Gestae de l’empereur romain Auguste. On comprend dès lors pourquoi il a fait l’objet de nombreux commentaires de la part de ceux qui cherchent à savoir dans quelles circonstances il a été rédigé et à quelles fins.

La dernière étude qui a fait date est celle de Pierre Grandet, chercheur connu du public pour son recueil de traductions de contes égyptiens (Hachette) et son petit ouvrage sur les hymnes à Aton (Points Sagesses).
Faisant le point sur tous les travaux qui ont concerné ce papyrus Harris, il en reprend la traduction et le commentaire, et en propose une interprétation originale minutieusement argumentée.

Ramsès III et son fils Ramsès IV

Un texte monumental

Le papyrus Harris Il est venu très tôt à la connaissance du monde scientifique, au moins dès 1872, date à laquelle il est entré au British Museum, où il est toujours conservé sous le numéro 9999. C’est le collectionneur britannique Anthony Charles Harris (1790-1869), négociant à Alexandrie, qui, en 1855, l’avait acheté à des fouilleurs clandestins à Louxor.
Cette acquisition s’ébruita rapidement dans le milieu égyptologique tant le caractère exceptionnel du document était évident. Il se présentait alors sous la forme d’une bande de papyrus roulée en volume et mesurant environ 42 cm de hauteur pour 42 m de longueur ! Anthony Charles Harris connaissait suffisamment l’égyptien ancien pour dater le texte du règne de Ramsès III, le plus important souverain de la XXe dynastie, la dernière lignée ramesside.
En 1858 au plus tard, le papyrus fut déroulé et, fatalement, fractionné en quatre vingt planches. Différents savants se rendirent alors chez Harris pour admirer et tenter d’acquérir le document chacun pour le compte de sa propre institution.
Mais c’est seulement à sa mort que Selima, sa fille adoptive et son unique héritière, vendit la collection dans sa globalité au British Museum. Elle comportait en tout onze manuscrits, dont des papyrus datés de Ramsès IX, un texte littéraire (le papyrus Harris 500) et un intéressant texte magique (le papyrus Harris 501).
Le papyrus Harris 1 surpasse néanmoins tous les autres en monumentalité. Inscrit uniquement sur le recto, il comporte trois vignettes en couleur, d’une exécution extrêmement soignée, qui représentent Ramsès III s’adressant aux dieux de Thèbes, d’Héliopolis et de Memphis, les trois plus grandes villes sacrées à la fin du Nouvel Empire.
Entre les vignettes sont réparties les 1 489 lignes de l’inscription en hiératique de grande taille les signes mesurent de 1 à 2 cm disposée sur 113 colonnes, à lire de droite à gauche.
Le texte peut-être écrit par quatre scribes différents se divise en trois grandes parties : une introduction, qui donne le titre et annonce le plan de la composition, le discours de Ramsès III aux dieux et celui qu’il adresse à ses sujets ou plutôt à leurs représentants de l’administration et de l’armée où le roi fait le bilan des actions positives de son règne. La partie la plus longue du papyrus est le discours aux dieux, qui se divise en quatre sections destinées aux divinités de de Thèbes, d’Héliopolis, de Memphis et enfin des autres sanctuaires d’Égypte. Chaque discours comporte en outre la liste des richesses données à chaque temple et une supplique réclamant des bienfaits en contrepartie.

Ramsès III devant une triade divine

Un texte provenant de Deir el-Medineh ?

La première question qui se pose est celle de la provenance de ce document unique dans les sources égyptiennes. Si l’on en croit certains témoignages, les fouilleurs qui le vendirent à Harris avaient en leur possession plusieurs papyrus qu’ils disaient provenir de la même cachette. Plusieurs recoupements invitent à conclure que parmi ces manuscrits figurait l’important dossier administratif relatif au pillage de la nécropole thébaine à la fin du Nouvel Empire, dossier aujourd’hui réparti dans différentes institutions à travers le monde.
Ces documents sans doute conservés à l’origine à Médinet-Habou, le temple funéraire de Ramsès III, qui n’était autre que le centre administratif de la rive ouest de de Thèbes durent, en raison des troubles survenus à la fin du Nouvel Empire, être transférés dans un lieu plus sûr. L’hypothèse la plus plausible est que ces archives et le papyrus Harris 1 furent dissimulés ensemble, peut-être dans une tombe du village des artisans de Deir el-Medineh.

Une oeuvre telle que le papyrus Harris 1 ne pouvait laisser les savants indifférents. Aussi de nombreuses études furent-elles rapidement réalisées. Dès -la fin du XIXe siècle, le document fut publié sous forme de fac-similé ; en 1906, James Henry Breasted en proposa une traduction intégrale, et en 1933 parut la transcription hiéroglyphique du texte hiératique. Le document était ainsi accessible à tous les chercheurs.

Plaidoyer posthume de Ramsès III devant le tribunal d’Osiris ?

D’emblée, différentes interprétations historiques de la composition s’opposent.
C’est ainsi que certains auteurs trouvent dans le récit des troubles politiques auxquels Ramsès III affirme avoir été confronté un écho à l’Exode de la Bible.
Mais cette lecture est rapidement réfutée. Adolf Erman, grand philologue allemand du début du XXe siècle, émet pour sa part une idée intéressante pour expliquer l’originalité de la composition : le papyrus Harris 1 serait en fait le long plaidoyer adressé par Ramsès III après sa mort aux juges de l’au-delà, auquel cas le manuscrit aurait une destination funéraire et aurait été déposé dans la tombe du souverain.

Ramsès III devant le triade de Thèbes

Un testament politique ?

Pour séduisante que soit cette hypothèse, elle ne résiste pas à l’analyse minutieuse de Pierre Grandet. Comment se présente le texte du papyrus Harris 1 ? Il prend la forme d’un discours prétendument adressé par Ramsès III à l’extrême fin de sa vie aux représentants des principaux centres religieux et à l’ensemble de ses sujets, discours dans lequel il expose les bonnes actions qu’il a accomplies de son vivant. Dès lors, deux questions se posent : qui ressentit le besoin de faire

un tel récapitulatif, et pourquoi ? On trouve la réponse dans le contexte historique. Dans un premier temps, il faut noter, à la suite de Pierre Grandet, que la confrontation du papyrus Harris 1 avec d’autres documents interdit de douter de la véracité des allégations de Ramsès III concernant sa générosité envers les temples. Ce roi vécut en effet en des temps troublés. A la fin de la Xlxe dynastie, l’Égypte était complètement désorganisée du point de vue politique, économique et administratif. Ces troubles entraînèrent l’émergence d’une nouvelle lignée, la XXe dynastie, fondée par Sethnakht. Ce souverain, dont le règne fut court, n’eut guère le temps de restructurer le pays. Il appartint par conséquent à son successeur, Ramsès III, de restaurer les institutions et donc le clergé.
C’est dans cette optique qu’il faut comprendre les largesses dont celui-ci fit preuve envers les divers centres religieux. Le papyrus Harris 1 rappelle donc aux officiels l’action particulièrement décisive du roi dans une période délicate. Cette mise au point n’a pas seulement pour but de commémorer la mémoire d’un grand pharaon, mais, plus pragmatiquement, d’asseoir la légitimité de son successeur direct, son fils Ramsès IV. Le texte n’a en effet pas été composé à l’instigation de Ramsès III, mais bien par la volonté de son fils. Dans les suppliques adressées aux dieux, ce dernier n’est-il pas à plusieurs reprises dépeint comme l’héritier légitime d’un souverain bienfaisant et lui-même légitime ? Les dieux ne lui souhaitent-ils pas une longue vie et un long règne ? La dernière partie du discours de Ramsès III à ses sujets ne laisse d’ailleurs aucun doute quant à la destination du texte. Il est demandé aux hommes de respecter et d’honorer leur nouveau pharaon, Ramsès IV, thème que l’on retrouve dans les enseignements de type loyaliste bien connus depuis le Moyen Empire.

La conspiration du harem

Pourquoi Ramsès IV s’est-il soucié à ce point d’asseoir la légitimité de son règne ? Est-ce à dire que, précisément, il aurait été un successeur illégitime ? Ce n’est apparemment pas dans cette voie qu’il convient de chercher. Selon Pierre Grandet, si Ramsès IV dut recourir à des procédés exceptionnels, c’était pour répondre à une situation exceptionnelle. On sait en effet grâce à plusieurs papyrus judiciaires que son père, malade et vieillissant, fut la cible d’une tentative de coup d’État qui avait pour but de remplacer son successeur légitime, Ramsès IV, par un des fils qu’il avait eus d’une épouse secondaire. Le complot échoua, et les conjurés furent condamnés. A la mort de son père, Ramsès IV, qui avait vu son autorité remise en question, devait donc frapper un grand coup. C’est ce qu’il fit avec un procès mémorable et la rédaction du papyrus Harris l, qui, pour reprendre les mots de Pierre Grandet, est « une gigantesque parabole (...) sur les vertus de la soumission au roi et sur les dangers de la rébellion ».

Ramsès III en porte étendard d’Amon

Pour en savoir plus

Pour connaître dans les détails ce texte passionnant, on pourra directement consulter l’étude et la traduction du texte de Pierre Grandet parues en trois volumes dans la collection scientifique Bibliothèque d’études (n° CIX) des Presses de l’Institut français d’Archéologie orientale au Caire, sous le titre : Le papyrus Harris 1 (BM 9999). Cependant, la monographie sur le règne de Ramsès III du même auteur, publiée chez Pygmalion (Ramsès III. Histoire d’un règne), qui reprend l’histoire de la conjuration du harem et du papyrus Harris " est plus accessible à un large public.

Les premières lignes du papyrus Harris

« Année de règne 32 (...J de la Majesté du roi de Haute et Basse Égypte Ousermaâtrê qu’il vive, qu’il soit prospère et en bonne santé le fils de Ramsès qu’il vive, qu’il soit prospère et en bonne santé (…) Il énonce (…) les choses utiles et les faits mémorables qu’il a réalisés alors qu’il était roi, alors qu’il était souverain sur terre pour le domaine de son noble père Amonrasonther (…), pour le domaine de son noble père Ptah le vénérable (…), pour les domaines de ses nobles pères les dieux et les déesses maîtres de la Haute et Basse Égypte, ainsi que les choses utiles et parfaites qu’il a réalisées pour les habitants de Kemet et de tous les pays, afin que (…)tous aient connaissance des choses utiles, nombreuses et des faits mémorables innombrables qu’il a réalisés quand il était sur terre, quand il était le grand souverain de Kemet. »

Le papyrus Harris 1 affiché ?

Le papyrus Harris 1 ne pouvait avoir d’impact que s’il était rendu public. Mais comment son message fut-il diffusé ? Fut-il lu publiquement le jour de l’enterrement de Ramsès III ? C’est probable, mais Pierre Grandet propose pour sa part une autre solution, très controversée. La taille impressionnante du manuscrit et la dimension exceptionnelle de ses caractères l’ont amené à conclure que le papyrus Harris 1 fut tout simplement affiché à l’entrée du temple funéraire de Ramsès III à Médinet-Habou afin que tous les fonctionnaires qui se rendaient régulièrement dans le centre administratif de la rive ouest de de Thèbes aient tout loisir de prendre connaissance du message politique que le nouveau souverain souhaitait faire passer.