Les Libyens s’emparent du pouvoir en Égypte
Article mis en ligne le 7 juillet 2008

À la fin du Nouvel Empire, l’Égypte se tourne de plus en plus vers les pays voisins. Témoin de ce changement tributaire des contingences internationales, des dynasties d’origine étrangère montent sur le trône. Inaugurant peut-être ce phénomène nouveau, la XXIIe et la XXIlIe dynasties sont libyennes.

Bien que, de tout temps, l’Égypte ait entretenu des relations avec les populations de l’Ouest - que l’on désigne aujourd’hui improprement par le terme « Libyens » -, celles-ci ont toutefois été nettement moins développées que leurs contacts avec leurs voisins du sud (les Nubiens) et de l’est (les Asiatiques).

Les Libyens, adversaires de toujours

Pour les Égyptiens, les Libyens sont avant tout des pillards potentiels dont il faut se méfier. Les Égyptiens ne les craignaient cependant pas aux hautes époques, puisque, contrairement à ce qu’ils firent aux frontières du sud et de l’est, ils n’érigèrent pas de véritables forteresses dans les oasis du désert Libyque, preuve que les tribus libyennes (appelées Tjehenou ou Tjemehou) qui y vivaient ne devaient pas vraiment menacer l’équilibre de l’État.

Fresque de la tombe de Sethi 1er, 1294-1279 av. J.C. : quatre races, de gauche à droite, un Libyen, un Nubien, un Syrien et un Égyptien

Dès les époques archaïques, les Égyptiens les affrontèrent néanmoins régulièrement. Sur la palette dite « des Libyens », on peut en effet voir des adversaires libyens abattus. Le Roman de Sinouhé, qui date du Moyen Empire, commence quant à lui par l’évocation d’un raid mené en Libye par le prince royal. Cette animosité permanente, mais peu inquiétante en définitive, fut constante, mais s’amplifia nettement sous le Nouvel Empire, avec l’apparition de deux nouveaux groupes ethniques libyens : les Libou (dont le nom, en passant par le grec, donnera le terme « Libyen ») et les Mechouech. Les Égyptiens les représentaient la peau claire, les cheveux tressés, portant une barbe pointue, de grands tatouages et vêtus de longues tuniques à décorations géométriques. Sous Merenptah, pharaon de la XIXe dynastie, les nouvelles populations, qui résidaient à l’origine encore plus à l’ouest (sur le territoire de la Libye actuelle) que les Tjehenou nomades, se rapprochent en effet de la vallée du Nil, s’étant vraisemblablement déplacées à la suite de la disette généralisée qui frappe l’Afrique du Nord ou poussés par l’invasion des Peuples de la Mer.

Les Peuples de la Mer modifient la donne

Au cours du XIIe et du XIIIe siècles avant Jésus-Christ, des problèmes climatiques entraînant des crises agricoles dans le nord et l’est du bassin méditerranéen provoquent en effet une importante vague de migrations vers le sud, à travers l’Anatolie et dans tout le Levant.
Des migrants, appelés « Peuples de la Mer », arrivent alors en masse jusqu’à la terre des pharaons. Il s’agit en fait d’une confédération ethnique de populations égéennes et originaires d’Asie Mineure. Ces migrants, partis avec armes, bagages et fa-milles, attaquent le [delta du Nil515] sous Merenptah, vers 1208, avec l’aide des Libyens Mechouech, mais Ia coalition est repoussée. Les Peuples de la Mer, installés dans des villes syriennes, tenteront de nouveau leur chance sous Ramsès III (XXe dynastie). Cet-te fois encore, les textes égyptiens rapportent qu’ils furent vaincus. Le pharaon fit en effet dans les rangs des Peuples de la Mer des captifs dont certains seront enrôlés dans son armée et notamment cantonnés dans des garnisons de Moyenne-Égypte et du désert libyque. Certains d’entre eux feront souche, et leurs descendants, parfaitement intégrés à la société égyptienne, feront de brillantes carrières.

représentation des soldats du peuple de la mer

Les Libyens s’installent en Égypte

Les Libyens connurent finalement un destin comparable. Si les Peuples de la Mer furent en grande partie repoussés par les armées de Merenptah, leurs alliés de fortune, les Mechouech, parvinrent par la suite à s’installer pacifiquement sur les rives du Nil. Les derniers ramessides (XXe dynastie) incorporèrent en effet dans l’armée égyptien-ne des mercenaires libyens, qui prirent progressivement de l’importance au point de constituer, au cours de la Troisième Période intermédiaire (en particulier sous la XXIe dynastie), une puissante caste militaire.

Cette implantation massive d’étrangers en Égypte témoigne bien des changements qui s’opèrent alors sur la scène internationale. L’équilibre international, qui était déjà en train de se modifier pendant l’ère ramesside, est en effet totalement bouleversé au début de a Troisième Période intermédiaire (XXIe-XXIVe dynasties) : l’Égypte, jusque-là cœur de la région, n’est désormais plus qu’une nation périphérique avec laquelle on n’est plus obligé de traiter. Son économie s’en ressent largement. Sous le régime faiblissant des Ramsès, les Libyens sont de plus en plus nombreux à s’installer dans le Delta et à s’enrôler dans en grand nombre dans l’armée égyptienne. Ils finissent par en prendre le contrôle, alors que l’Égypte est politiquement partagée entre la XXIe dynastie, originaire de Tanis (dans le Delta), dans le Nord, et les rois-prêtres de Thèbes dans le Sud. Peu à peu, le Delta, puis le nord de la Moyenne-Égypte passent sous le contrôle de ces tribus libyennes largement égyptianisées et parlant depuis longtemps la langue du pays. De ces chefferies libyennes (dont les chefs se faisaient appeler « grand des Ma »), implantées notamment à Bubastis et à Héracléopolis, émergera finalement une véritable lignée d’origine libyenne, la XXIIe dynastie (945-715 avant J.-C.). Leur chef, Sheshonq l’Ancien, deviendra en effet si puissant qu’un de ses fils, Sheshonq Ier, montera sur le trône et règnera depuis Bubastis en 945. L’Égypte entière sera désormais dominée par des Libyens, et ce pendant deux dynasties (la XXIIe et la XXIIIe).

le pharaon Sheshonq Ier

Cette prise de pouvoir, facilitée par les troubles politiques et économiques que connaît le pays, aura, au moins à court terme, des répercussions positives. Sheshonq Ier redorera en effet le prestige de l’Égypte en pillant Jérusalem et la Palestine, renflouant ainsi sensiblement le Trésor.