Nitocris
Article mis en ligne le 13 juillet 2020
dernière modification le 20 juin 2020

La première Femme Pharaon

Le Règne de Nitocris

Mort centenaire, le roi Pépi II eut pour successeur Mérenrê Ier, dont le règne fut très bref ; il dura sans doute moins d’un an. Entre alors en scène Nitocris, la première femme officiellement considérée comme Pharaon régnant, puisque son nom figure dans une des listes royales composés par les Egyptiens eux-mêmes, et connue sous l’appellation de « Canon de Turin. » D’autres listes furent probablement détruites, et nous avons constaté que, bien avant Nitocris, des femmes exercèrent le pouvoir suprême. Néanmoins dans l’état actuel de la documentation, elle est la première femme à porter, de manière formelle, le titre de « Roi de Haute et de Basse-Égypte ».

Nitocris monta sur le trône vers 2184 av J.-C. et, selon les archives de l’époque ramesside, régna deux ans, un mois et un jour ; des chercheurs penchent pour une période plus longue, de six à douze ans [1]. Malheureusement, aucun document archéologique à son nom ne nous est parvenu, et nous nous trouvons donc devant une situation paradoxale : pour des reines antérieures, comme Khénet-Kaous, un monument colossal, pharaonique, mais pas de titre explicite ; pour Nitocris, le titre mais pas de monument ! Belle énigme à résoudre et, si elle n’a pas été détruite, une tombe exceptionnelle à découvrir.

Le nom de Nitocris, d’après le Grec Eratosthène, signifie « Athéna est victorieuse » ; il n’était pas loin de la vérité, puisque Nitocris, en égyptien Neit-Iqeret peut se traduire par « Neith (le modèle égyptien de l’Athéna grecque) est excellente ».

Belle et courageuse

L’histoire des dynasties rédigée par le prêtre égyptien Manéthon a été perdue, mais il en subsiste quelques fragments cités par les auteurs de l’antiquité. L’un d’eux, conservé dans un texte d’Eusèbe, parle en ces termes du pharaon Nitocris : Une femme, Nitocris régna ; elle avait plus de courage que les hommes de son époque, et elle était la plus belle de toutes les femmes, elle, blonde aux joues roses. On prétend qu’elle a construit la troisième pyramide. Selon une tradition tardive, elle y aurait été ensevelie et son corps aurait reposé dans un sarcophage de basalte bleu.

Cette « troisième pyramide » pourrait être celle de Mykérinos, sur le plateau de Gizeh, mais aucune trace de Nitocris n’y fut retrouvée. En revanche, certains archéologues estiment que le monument fut restauré à l’époque de la femme Pharaon ; l’attention qu’elle prêta à ce grand monument explique peut-être la naissance de cette légende.

La beauté de Nitocris fait songer aux titres que portaient les reines de l’Ancien Empire : Grande d’amour, au beau visage, souveraine de charme, qui satisfait la divinité grâce à sa beauté, à la voix enchanteresse quand elle chante, qui remplit le palais de l’odeur de son parfum, la souveraine de toutes les femmes, la maîtresse des Deux Terres et de la terre jusqu’à ses confins. Il s’agit donc d’une beauté rituelle, d’un charme consubstantiel à la fonction de reine d’Egypte et, à fortiori, à celle de reine Pharaon.

Une autre légende tardive, dont on ne découvre aucune trace dans les documents égyptiens, prétend que Nitocris était l’épouse d’un roi et que son mari avait été assassiné par des traîtres. Cet acte odieux ne leur permit pas de régner ; ils demandèrent à la malheureuse Nitocris de gouverner, de manière à ce que la lignée légitime ne fût pas interrompus. La jeune femme accepta, mais prépara sa vengeance en secret. Elle fit construire une grande salle souterraine et invita les traîtres à y célébrer un banquet pour fêter leur victoire ; pendant qu’ils festoyaient, Nitocris fit ouvrir un conduit dans lequel l’eau s’engouffra. Les traîtres furent noyés, Nitocris se suicida en se précipitant dans une chambre pleine de cendres où elle étouffa. Un dramatique conte oriental, mais sans fondement historique.

La fin de l’Ancien Empire

Le glorieux temps des pyramides se termine par le règne de Nitocris, suivi d’une période confuse sur laquelle nous sommes fort mal renseignés. S’ouvre une crise grave qui, sans remettre en cause l’institution pharaonique, se traduit, semble-t-il, par des perturbations sociales et économiques. Mauvaises crues, modification brutale du climat, invasion de tribu bédouines, affaiblissement du pouvoir central ; montée en puissance de chefs de province oubliant l’intérêt général ? De nombreuses explications furent avancées, sans qu’une certitude fût obtenue. On ne connaît même pas la durée exacte de ce que les égyptologues ont nommé « la première période intermédiaire », intermédiaire entre la fin de l’Ancien Empire et le début du Moyen Empire : d’une centaine d’année à cent quatre-vingt-dix ans pendant lesquels l’Egypte est affaiblie.

Le règne de Nitocris fût fond le dernier de l’Ancien Empire, l’âge d’or de l’Égypte ancienne ; pendant cinq siècles, environ, des pharaons bâtisseurs de pyramide construisirent un monde d’une puissance et d’une beauté sans égale. S’il est vrai qu’un peuple heureux n’a pas d’histoire, cette pensée s’applique à merveille à l’Ancien Empire ; rois et reines parlent de leur fonction, de leur rôle de lien entre le divin et l’humain, de la pratique des rituels conçus comme une science de la vie, mais l’on cherche en vain des détails sur leur vie privée ou leur histoire personnelle. Filiations et généalogie sont incertaines.

Les bas-reliefs des tombeaux, cependant, mettent en scène le quotidien et les bonheurs des mois et des jours, en ces temps où l’Histoire avait été ritualisée et conçue comme une fête.

Il serait injuste de rendre Nitocris responsable de la cassure qui se produisit ; en réalité, la V em dynastie s’est peu à peu affaibli et, sous le long règne de Pépi II, des évolutions négatives, difficile à percevoir en raison de la pauvreté de la documentation, ont conduit l’Égypte vers la crise.

Bibliographie

Études

  • (en) Percy E. Newberry, « Queen Nitocris of the Sixth Dynasty », The Journal of Egyptian Archaeology, vol. 29,‎ décembre 1943, p. 51-54 (JSTOR 3855037).
  • (en) Kim Ryholt, « The Late Old Kingdom in the Turin King-list and the Identity of Nitocris », Zeitschrift für Ägyptische Sprache und Altertumskunde, vol. 127, no 1,‎ janvier 2000, p. 87-100 (lire en ligne).
  • Joyce Tyldesley, Aude Gros de Beler et Pierre Girard, Chronique des reines d’Égypte : des origines à la mort de Cléopâtre, Actes Sud, 2008 (ISBN 978-2742775668).
  • Baudouin van de Walle, « La « Quatrième Pyramide » de Gizeh et la légende de Rhodopis », L’Antiquité Classique, t. 3, fascicule 1,‎ mai 1934, p. 303-312 (lire en ligne).
  • Christiane Zivie-Coche, « Nitocris, Rhodopis et la troisième pyramide de Giza », Bulletin de l’Institut français d’archéologie orientale, no 72,‎ 1972, p. 115-138.

Littérature

  • Christian Jacq, Les Égyptiennes.
  • Violaine Vanoyeke, Nitocris, princesse d’Égypte.
  • Juliette Benzoni, Les reines tragiques.
  • Bernard Simonay, L’appel de L’Orient.