De l’égyptien, « !la Grande Maison ! », souverain de l’Égypte ancienne. À l’origine, le nom était utilisé pour désigner le palais royal d’Égypte et ceux qui l’habitaient (attesté dès l’Ancien Empire vers 2400 av. J.-C.), puis pour désigner la personne du roi (attesté vers 1370 av. J.-C). Le pharaon était à la fois dieu (il était le fils du dieu-soleil Rê) et roi humain (il était considéré comme le successeur légitime d’Horus, premier souverain d’Égypte). Le pharaon possédait des pouvoirs nombreux et étendus. Il était chargé d’assurer l’ordre universel, qui comprenait aussi bien l’ordre cosmique et les relations sociales que les crues du Nil. L’importance de son rôle religieux s’explique par le fait qu’il était le seul interlocuteur des dieux sur la Terre. Son rôle temporel était tout aussi important : garant de l’unité de l’Égypte, il cumulait tous les pouvoirs tant civil que militaire. Les affaires courantes étaient traitées par des fonctionnaires, notamment par les vizirs. Le pharaon était toujours représenté de façon distincte des autres personnages (avec notamment une barbe postiche).

Le souverain égyptien est en quelque sorte la pierre d’achoppement de la société égyptienne. Plus près du ciel, il est aussi plus près des dieux. Il est à la fois un homme pouvant dialoguer avec les dieux, et l’incarnation de la divinité elle-même sur terre.
Pharaon est le seul officiant du culte, moyen d’entrer en contact avec les dieux, et de plaider les besoins de la société humaine. En effet, l’action de l’homme auprès des dieux se matérialise dans les rites. Ils ne peuvent par conséquent être exécutés que par un homme qui est lui-même un signe. Le prêtre célèbre le culte au nom et à la place du roi qui, malgré des aspects surhumains, ne possède pas le don d’ubiquité du moins dans le cadre d’aspects aussi matériels que le culte rendu aux dieux.
Pharaon est pharaon avant tout parce qu’il est reconnu en tant que fils des dieux ou même fils de dieu. Il est le descendant et le successeur légitime des générations divines qui se sont succédées sur le trône d’Horus et fait partie littéralement des suivants ou successeurs d’Horus. Il est encore Horus des vivants et fils mythique d’Osiris. Il a donc, envers la divinité, les obligations qu’un fils a pour son père. Il lui revient de lui fournir un toit ; son privilège propre est de construire, rénover ou agrandir les temples.
D’essence divine, la personne du pharaon en devient sacro-sainte. Elle ne saurait être critiquée ouvertement ni dans sa personne ni dans ses actions. Ce n’est pas l’homme devenu roi qui est proprement divin et sacro-saint, c’est la fonction qui est passée en lui et qu’il représente à chaque instant. Tout comme le prêtre reçoit la délégation du pouvoir royal en matière de culte, le roi a reçu, lors de son couronnement, délégation des pouvoirs divins sur terre. Le roi est prédestiné à être pharaon avant même son intronisation. Il est ainsi roi dès l’œuf ou alors qu’il n’avait pas encore quitté le nid. Ces images rappellent, elles aussi, que le roi est avant tout un Horus, un faucon divin. De fait, il semble qu’une portion de divinité lui soit transmise par le lait divin dont les déesses le nourrissent dès sa naissance.
Ce rituel de l’allaitement divin intervient non seulement à la naissance royale mais aussi au moment du couronnement et de l’enterrement du roi, trois moments-clé de sa fonction. Le roi n’est pas seulement divin par ses nourrices, il est enfant du dieu : plusieurs séries de bas-reliefs montrent le mythe de la naissance divine de l’enfant-roi. Si sa mère est bien charnellement humaine, c’est le dieu lui-même qui l’a fécondée en revêtant l’aspect de son époux. Ce roi en devenir qu’est le prince héritier se voit littéralement amplifié par le couronnement.
Il devient un être multiple, et reçoit cinq noms formant une titulature-programme, dont chaque élément est significatif. Le roi y apparaît tel un faucon, image d’Horus, ou un Taureau qui peut parfois être l’image de Seth. Le roi rassemble alors en sa personne Horus et Seth et c’est lui qui doit assumer l’équilibre entre les forces de l’ordre et du désordre. Le roi est à ce point l’expression d’une fonction qu’on l’évoque en des termes impersonnels. En rapport avec cette fonction, le roi porte également des attributs particuliers qui le différencient aussi des hommes.
Ses couronnes sont des éléments porteurs de puissances transmises directement par des divinités qui les chargent de pouvoir et de protection. Celle-ci est assurée la plupart du temps par l’uræus. Ce cobra dressé sur le front du roi est une personnification féminine de la puissance divine. Celle-ci distingue le souverain même lorsqu’il porte perruque. Il est vêtu aussi d’un pagne à devanteau triangulaire spécifique, la chendjyt. Si sa forme évolue au cours du temps, il n’est jamais porté que par le souverain. Il en est de même pour la barbe qui est la plupart du temps postiche. Recourbée, elle est aussi signe divin. Le roi vivant porte un appendice pileux long mais droit ; ce n’est que mort qu’il semble pouvoir arborer la barbe divine postiche. Certains vêtements sont réservés à des cérémonies spéciales tels le manteau mi-long croisé à bord frangé spécifique des cérémonies du jubilé royal.
Le pharaon et ses outils cérémoniels semblent être chargés d’une puissance qui, si elle n’est pas contrôlée, peut s’avérer dangereuse. C’est ainsi que lorsque la massue cérémonielle royale frôle par hasard un prêtre présent, le roi doit annoncer de façon solennelle qu’il n’avait pas l’intention de le toucher. Approcher le roi faisait l’objet d’un rituel consister à baisser le visage vers le sol, puis le corps tout entier, en flairant le sol : c’est l’attitude même que l’Egyptien prend en présence des dieux.
La journée du souverain, conditionnée par des rituels, est réglée par un cérémonial de tous les instants. Cette expression de la fonction royale est concentrée au point de masquer la personne physique et la personnalité profonde du souverain.
Les statues royales sont des portraits idéalisés, expression d’une fonction royale déterminée. Certes, cette expression n’est pas toujours aussi hiératique qu’elle a pu l’être durant l’Ancien Empire. On peut constater à ce propos une évolution nette au cours de l’histoire égyptienne, sensible dans les notices biographiques royales. Au Moyen Empire, certains souverains - tel Sésostris III - délaissent l’image idéalisée de la personne royale pour lui substituer un portrait exprimant la nature humaine de la fonction pharaonique.
L’idée que nous nous faisons des rois, dépend aussi beaucoup de la postérité. Néanmoins, le roi des contes paraît plus humain que l’image du souverain des statues. Snéfrou apparaît comme un pharaon bienfaisant et même profondément humain, alors que son fils khéops y est décrit comme un despote, sans respect pour la personne humaine. Le roi s’ennuie, cherche à connaître l’avenir, à se divertir.
On est bien loin du roi qui ne dort jamais par souci des intérêts du pays. Cette institution, dans toute sa rigueur divine, s’est montrée assez souple pour durer plus de trois millénaires : parfois, le père installe son fils sur le trône de son vivant, dans le cadre d’une corégence que les Egyptiens eux-mêmes ne distinguaient pas du fonctionnement normal de la royauté. De la même façon, lors de circonstances exceptionnelles mettant la fonction royale en péril, cette institution, profondément masculine, laisse apparaître les racines matriarcales de la société égyptienne.
La grande épouse royale ou reine en titre peut ainsi prendre en main les rênes du pays jusqu’à la maturité de l’héritier légitime. C’est souvent en épousant une princesse de sang royal que les fils des épouses de second rang ou des roturiers accéderont au pouvoir. Dans des cas particuliers et rares, des femmes parviendront à revêtir la dignité royale. Ce changement de statut leur faisait emprunter, lors des représentations, les vêtements spécifiques de la royauté qui, par nature, convenaient à des hommes.
La légitimisation de l’héritier peut passer par un système de corégence : le prince héritier règne aux cotés de son prédécesseur pendant une certaine durée, pour y apprendre son métier de roi. Cela s’est produit au Nouvel Empire. Le cas d’Hatchepsout -Thoutmôsis III est en revanche une véritable régence conditionnée par l’âge du roi (six ans à son accession au trône).
Chez les souverains ramessides, il faut noter l’apparition d’une pseudo-corégence. En effet, le prince héritier n’a pour seul titre que celui de général en chef. Les dynasties étrangères introduisent de nouveaux modes de succession. Là où les Libyens préféreront éclater la royauté en une multitude de principautés pour permettre à un grand nombre de membres de la famille régnante d’accéder au pouvoir, les Nubiens introduiront un système de passation du pouvoir au frère ou au neveu qui n’a rien d’égyptien. Les souverains macédoniens reviendront quant à eux à un système de corégence, ou une part du pouvoir est directement et officiellement assurée par un membre féminin de la famille royale. Sans doute faut-il voir ici une expression tardive mais profondément égyptienne de la légitimité par les femmes et de la complémentarité entre les formes masculines et féminines de la divinité et de la fonction royale.

En effet, la fonction passe théoriquement du père au fils : elle doit être assumée par chacune des générations passant sur terre, sans exception. Si le prince héritier meurt avant d’accéder au trône, c’est son frère et non son fils qui le remplace. De plus, cela ne peut se faire que si la mère, la grande épouse royale est elle-même transmetteuse de la fonction royale par son ascendance. Dans la plupart des cas où il n’y a pas d’héritier mâle, il semble que le pouvoir passe alors au gendre du roi.
La XVIIIe dynastie a vu, à plusieurs reprises, une solution médiane s’imposer. En effet, dans ce cas, ce ne sont pas les héritiers mâles qui ont fait défaut, mais un héritier mâle d’une première union, fils de la grande épouse royale. L’héritier virtuel est donc bien sûr un fils du roi, mais d’une épouse secondaire et de ce fait non légitimisé. Dans ce cas aussi, cependant, la légitimisation viendra de la femme, puisque c’est en épousant leur demi-sœur, fille de grande épouse royale, que Thoutmôsis II et Thoutmôsis III, tous deux fils de concubine royale pourront acquérir leur légitimité.
Cela est d’autant plus étonnant que leur ancêtre direct, Thoutmôsis Ier, fondateur de la lignée thoutmôside, n’avait, semble-t-il, aucun lien de parenté avec son prédécesseur Aménophis Ier. Ainsi, la vie d’un prince héritier n’est pas toute tracée ; elle tient compte des incertitudes, nombreuses à cette époque, d’une existence fragile. Tous les princes étaient éduqués sur le même pied au sein de l’Ecole du Palais, aux côtés des fils de hauts fonctionnaires et de jeunes princes étrangers. Le futur prince y recevait peut être une initiation, mais c’est surtout une solide éducation de scribe et d’administrateur (fonctionnaire) qui le préparait à diriger le pays.
Devenu roi, il lui échoit la tâche fondamentale attachée à sa fonction semi-divine : perpétuer l’œuvre du dieu primordial et maintenir coûte que coûte le monde organisé dans l’état où il est apparu lors du premier jour (cosmogonie). Un texte de Thoutmôsis III indique que, sous son règne, le pays est comme si Rê était roi en lui, comme à l’époque de Rê ou comme lors de la création. Pharaon est dieu, fils de dieu, image vivante de dieu etc...
Néanmoins, ce concept revêt une nouvelle forme sous la XVIIIe dynastie. Le roi, défunt d’abord, puis le roi régnant lui-même seront identifiés au soleil, souverain de l’univers. Cette solarisation du roi connaît sa manifestation la plus sensible sous Aménophis III avant d’être menée à son aboutissement sous le règne de son fils Aménophis IV - Akhénaton. Sans que l’on arrive encore à en définir précisément les mécanismes, cette divinisation du roi régnant trouve une expression privilégiée en Nubie et elle atteindra son apogée sous Ramsès II. Les colosses reçoivent un culte populaire, sans doute motivé par l’impression que le roi est alors, encore plus qu’aux époques antérieures, un chaînon privilégié entre les dieux et les hommes.
Tout comme la lumière solaire chasse les ténèbres chaotiques de la nuit, le souverain, par sa seule présence, repousse les ennemis du pays, issus des marches chaotiques de l’empire. Pharaon, en tant que manifestation fonctionnelle du dieu créateur doit perpétuer, maintenir l’ordre cosmique. Chaque intronisation marque aussi l’espoir de voir tout mal éliminé afin que le monde retrouve sa perfection première. Toutânkhamon, restaurateur de l’ordre ancien après les désordres amarniens insiste sur ce fait : Il a dissipé le désordre, remettant en place l’ordre de Maât. Il a le mensonge en horreur, restaurant le monde comme lors de sa création.
Cette restauration, ce maintien, implique qu’il ne saurait exister de progrès politique. La fonction armée de Pharaon ne peut alors qu’être qu’une fonction défensive visant à réagir à une agression théorique exprimée par le terme de rébellion, même si la véracité de cette appellation ne semble pas étayée et que les armées égyptiennes interviennent souvent sur de "fortes présomptions de rébellion". L’idée même de conquête territoriale ne peut avoir de place dans cette idéologie : si le roi étend les frontières de l’Egypte, il prétend régner sur tous les pays et les peuples étrangers, étant le maître de tout ce que parcourt le disque solaire.
Mais le maintien de l’ordre cosmique passe par d’une d’expansion politique qui se veut dans la continuité quotidienne de la création du premier jour. Le roi doit donc être lui-même un créateur. Il érige des monuments. Par ce mot, il faut entendre de vastes édifices comme la salle hypostyle de Karnak, des statues ou des amulettes. Le roi ne construit pas seulement pour laisser son nom à la postérité, il remplit la part de son contrat divin. Cette activité débute en même temps que le règne par l’érection de la pyramide ou le creusement de l’hypogée royal, mais aussi par la mise en chantier quasiment instantanée de grands temples divins.
Cette part de l’activité royale nécessite la mise en œuvre de toutes les forces vives du pays. Si elle est parfois écrasante comme sous les règnes d’Aménophis III et de Ramsès II, elle peut aussi n’être que symbolique. Elle s’exprime alors par une simple appropriation de monuments existants par l’imposition de cartouches. Cet acte, souvent interprété comme une usurpation, était pourtant légitime. Elle procède pleinement de l’idéologie royale et est en fait une création nouvelle de monuments anciens. Ceux-ci sont alors remis en route et rendus à nouveau pleinement efficaces.
Cette idée de renouvellement est liée aussi à la fonction royale. Celle-ci n’est qu’un pouvoir remis au souverain appelé à régner un certain temps, et qui s’amenuise à force d’être utilisée. Le pharaon est en quelque sorte un réceptacle d’énergie divine et cosmique qui doit être réapprovisionné au bout d’un certain temps. Ceci se fait lors des fêtes jubilaires prenant en général place lors de la
trentième année de règne (la fête-sed).
Avec la royauté, c’est aussi en effet toute la nature et les forces créatrices de l’Egypte qui sont à leur tour renouvelées. La nature est en fait modelée et organisée par le roi. Il y insère ses monuments qui font pleinement partie de cette création fondée sur l’idée même de l’équilibre régi par Maât. Cet équilibre doit aussi exister dans le monde des humains et Pharaon doit l’assurer. Il est tout d’abord pour ses administrés et sujets, le bon berger. Il a été institué pour donner force au dos du faible et pour sauvegarder du mal les plus défavorisés parmi lesquels la veuve et l’orphelin figurent bien sûr au premier rang. S’il n’apparaît jamais en tant que juge, il dirige et sanctionne l’application des peines. Les plus lourdes, celles qui portent atteinte à l’intégrité humaine, ne peuvent être exécutées sans son autorisation.
Le pharaon demeure le détenteur véritable d’une fonction qui ne peut être que déléguée, jamais cédée.
Ethymologie
Le mot « Pharaon » vient de la version grecque de la Bible où il apparaît dans la Vulgate (Genèse, XII, 15) sous la forme Faray (Pharao ). Les Hébreux s’étaient contentés de transcrire à leur manière le mot composé égyptien per-aâ , littéralement « la Grande Maison ». Cette expression, attestée dès l’Ancien Empire vers 2400 avant J.-C., désignait à l’origine le palais royal et ceux qui l’habitaient - un peu comme les Français disent « l’Élysée » pour désigner à la fois la résidence du président de la République, la fonction présidentielle et le président lui-même, ses services ou les fonctionnaires qui y travaillent. À haute époque, l’expression n’était pas utilisée pour désigner la personne royale seule. Son emploi pour signifier le roi de l’Égypte n’est attesté dans les textes qu’à partir de l’époque amarnienne, vers 1370 avant J.-C. L’expression per-aâ est alors toujours suivie de la formule « Puisse-t-il vivre, être prospère et se bien porter ». Toutefois, bien que l’expression soit alors assez fréquente, les scribes préfèrent le plus souvent désigner le souverain par les mots de « Roi » (Nesout ) ou de « Seigneur » (Neb ), ou encore par « Sa Majesté » (Hemef ). Ce n’est qu’à l’extreme fin de l’histoire de l’Égypte, sous la XXIIe dynastie (950-730 av. J.-C.), que l’expression per-aâ , pharaon, est employée dans les textes égyptiens de la même façon que dans la Bible, c’est-à-dire à la manière d’un titre précédant le nom particulier d’un souverain, comme par exemple per-aâ Sheshonq : le pharaon Sheshonq ; encore cet emploi reste-t-il fort rare. Avant la XXIIe dynastie, le mot per-aâ est toujours utilisé seul, tout comme naguère on disait « la Sublime Porte » en parlant du sultan ottoman.
Une nature divine et humaine
Pharaon est à la fois dieu et roi humain. Ces deux aspects de sa personnalité sont inextricablement mêlés.
Dieu, souvent désigné par l’expression neter nefer , le « dieu parfait », est le fils charnel d’une divinité : à haute époque, du dieu-soleil Rê, d’Héliopolis, la plus ancienne capitale d’Égypte, et, à partir de la XVIIIe dynastie, du dieu Amon de Thèbes. À l’Ancien Empire, la filiation divine est simplement indiquée par le titre « Fils de Rê », souvent suivi de la précision « de son corps », qui prouve qu’il faut bien interpréter « Fils charnel de Rê » ; au [Nouvel Empire->39], des textes et des représentations décrivent en détail comment le dieu Amon, qui d’ailleurs selon son nom d’Amon-Rê est tenu à cette époque pour une hypostase du dieu Rê, prenait la forme et l’aspect du pharaon régnant pour s’unir charnellement à la reine afin de procréer l’héritier légitime du trône.
C’est sans doute grâce à cette origine divine et au fait qu’un sang divin coule dans les veines de l’enfant royal, garçon ou fille, que, à la différence des autres civilisations antiques, la reine égyptienne peut, le cas échéant, soit exercer la royauté au même titre qu’un mâle, soit transmettre les droits à la couronne à son mari quand il n’est pas héritier légitime. Ces mêmes raisons, et surtout le désir de conserver intacte la pureté du sang divin, expliquent peut-être que le mariage consanguin du pharaon avec une de ses sœurs ou demi-sœurs soit sinon une règle, du moins une pratique très fréquente. Toutefois, on peut aussi expliquer cette coutume, que suivront encore les souverains lagides, en évoquant le désir d’imiter le couple mythique idéal, celui d’Osiris et d’Isis, tous deux enfants du dieu Geb (la Terre) et de la déesse Nout (le Ciel), qui étaient eux-mêmes frère et sœur.

En tant que roi, Pharaon est considéré comme le successeur légitime d’Horus, premier souverain de l’Égypte. De même qu’Horus, dieu-faucon fils d’Osiris et d’Isis, hérita de son père la royauté unifiée de l’Égypte, de même Pharaon est conçu comme l’« Horus vivant », la réincarnation du premier roi mythique. C’est même là son titre le plus ancien. Dès les premières dynasties, à l’époque thinite, le nom du roi est toujours précédé du titre « Horus » : on parle non pas du « pharaon X... », mais de « l’Horus X... » Ce titre subsistera jusqu’à la fin de l’histoire égyptienne, et les souverains lagides ou romains porteront eux aussi leur « nom d’Horus » ; c’est ainsi que l’empereur Auguste se fera appeler « l’Horus, Celui au bras puissant, Le Grand de force ».
Titulature et représentations
Dès l’Ancien Empire, tout pharaon porte cinq noms distincts qui lui sont donnés lors des cérémonies de l’intronisation. Ces noms constituent la « titulature royale ». Le premier est le nom d’Horus , dont on vient de parler. Le deuxième, dit des deux maîtresses (ou déesses ), rappelle la période où l’Égypte était divisée en deux royaumes distincts protégés l’un par la déesse-cobra Ouadjyt (royaume du Nord), l’autre par la déesse-vautour Nekhbet (royaume du Sud). Le troisième nom, dit d’Horus d’Or , évoque peut-être un événement historique, la victoire d’Horus sur son oncle Seth qui avait cherché à lui dérober l’héritage de son père Osiris. Le quatrième nom, que l’on appelle souvent le prénom , est précédé de la formule « le Roi de la Haute et de la Basse-Égypte », plus précisément « Celui qui appartient au roseau (la plante symbolique du Sud) et à l’abeille (l’animal héraldique du Nord) ». Le dernier nom, enfin, est précédé du titre « le Fils de Rê ». Pour prendre un exemple, la titulature ou protocole de Sésostris III, le grand pharaon de la XIIe dynastie, s’établit de la façon suivante : l’Horus vivant , « Divin de Devenirs » ; les Deux Déesses , « Divin de Naissance » ; l’Horus d’Or , « Celui qui devient » ; le Roi de Haute et de Basse-Égypte , « les Âmes de Rê apparaissent en gloire » ; le Fils de Rê , « l’Homme de la déesse Ouseret (Sésostris) ». Les monuments royaux portent souvent le protocole complet, mais parfois les lapicides se contentent du nom de Roi de Haute et de Basse-Égypte, ou « prénom », qui est le plus personnel de tous, le cinquième nom pouvant, en effet, être porté par plusieurs souverains. C’est ainsi qu’il y a trois « Sésostris » à la XIIe dynastie, et onze « Ramsès » au Nouvel Empire->39].
Les deux derniers noms du protocole sont inscrits à l’intérieur de ce que l’on appelle le cartouche : ; c’est un nœud de corde qui symbolise « ce que le soleil encercle », et représente donc l’Univers qui appartient ainsi au pharaon. C’est en partant des signes entourés d’un cartouche que Champollion parvint au déchiffrement des hiéroglyphes.
Pharaon se distingue donc des hommes par ses noms multiples. De même dans les figurations, on le reconnaît aisément à sa taille, toujours très supérieure à celle des personnages qui l’entourent, et à son costume, qui comporte des couronnes de formes variées suivant qu’il est représenté comme Roi de Basse-Égypte (Pharaon porte alors la couronne), ou comme Roi de HauteÉgypte (avec la couronne), les deux couronnes pouvant d’ailleurs être réunies en une seule (c’est le pschent ). Il peut porter d’autres coiffures encore, mais celles-ci sont toujours ornées sur le front d’une uraeus dressée, le cobra, dont le souffle brûlant doit anéantir les ennemis éventuels du pharaon. De même, le pagne royal se distingue du vêtement des simples mortels par la queue de taureau qui pend à la ceinture et par le « devanteau » qui orne le devant du vêtement. Enfin, Pharaon, comme les dieux, porte souvent une barbe postiche.
Le garant de l’Ordre universel
Homme et dieu, le pharaon joue, au moins en théorie, un rôle important sur terre. C’est lui, en effet, qui est chargé d’assurer l’Ordre universel conformément à Maât, déesse de la Vérité et de la Justice, enfant, comme lui, du Dieu solaire Rê. Cette conception, typiquement égyptienne, tout en incluant les deux notions de vérité et de justice, recouvre bien davantage. Elle s’applique à l’Ordre par excellence, établi par le démiurge lors de la création du Monde. Si cet Ordre, d’origine divine, venait à être perturbé, les forces du Chaos pourraient alors se déchaîner à nouveau. Il est donc immuable et comprend aussi bien les mouvements des astres, le lever du soleil, le retour périodique de l’Inondation, indispensable à la vie de l’Égypte, que l’ordre social établi, les rapports entre humains, les devoirs envers les dieux. La fonction essentielle de Pharaon est de maintenir cet Ordre. Tout d’abord, et surtout, il doit assurer le culte divin journalier dans l’ensemble de l’Égypte ; il est, en effet, sur terre le seul interlocuteur possible pour les dieux.
Un rôle religieux
Dans tous les temples du pays, le culte se fait au nom de Pharaon et le clergé n’est que son délégué. C’est pourquoi dans les scènes figurées des temples, c’est toujours le roi qui est représenté accomplissant le rituel divin journalier. Ce rituel, extremement précis, est indispensable à la simple survie du Monde, ce qui explique que l’absence de roi, au cours d’un inter-règne par exemple, soit ressentie comme une catastrophe cosmique qui peut affecter la course du soleil ou la crue du Nil. Décrivant la période troublée entre la XIe et la XIIe dynastie, pendant laquelle il n’y eut pas, semble-t-il, de pharaon régulièrement intronisé, un texte peut écrire (il s’agit d’une prophétie post eventum ) : « Le disque solaire étant voilé, il ne brillera plus [...] On ne vivra plus car les nuages [le] recouvriront. Et les hommes seront [comme] abasourdis [...] Les fleuves d’Égypte étant à sec, on pourra traverser l’eau à pied. » L’arrivée d’un nouveau roi remet le monde en ordre, car il rétablit Maât à sa place et s’oppose au Chaos qui, en l’absence d’un pharaon légitime, avait repris possession du monde (prophétie de Neferty).
Pour pouvoir remplir ce rôle vital, Pharaon a besoin d’une force magique considérable. Certes, sa naissance divine est indispensable, mais elle ne suffit pas. Le surcroît de puissance nécessaire à sa fonction, il l’acquiert par les rites de l’intronisation, lorsqu’il prend les cinq noms de sa titulature. Le sacre comporte des scènes complexes et nombreuses, au cours desquelles des pRêtres jouent le rôle des dieux, notamment celui d’Horus et de Seth, chargés de transmettre au nouveau souverain les couronnes de la Haute et de la Basse-Égypte. L’Égypte, en effet, a toujours été conçue comme un double royaume dont l’unité n’est assurée que par et dans la personne de Pharaon. C’est pourquoi, lors du sacre, les cérémonies sont toujours accomplies deux fois : l’une pour le royaume du Nord, le Delta, l’autre pour celui du Sud, de Memphis à Assouan.
La puissance magique accumulée dans la personne de Pharaon grâce aux cérémonies religieuses du sacre a tendance à s’atténuer peu à peu, et, après trente ans de règne, une fête spéciale, la fête-Sed, ou fête du Jubilé, est destinée à redonner à Pharaon la force qui s’est affaiblie au cours du règne. La fête-Sed, célébrée à l’origine sous le patronage du dieu Ptah de Memphis, reprend, en partie au moins, les cérémonies du sacre. On s’est demandé si elle ne remplaçait pas un rite de l’Égypte primitive, au cours duquel le roi était mis à mort rituellement lorsque, trop âgé, il ne pouvait plus assumer physiquement les charges de la royauté. On peut noter, à ce propos, que le sacrifice du roi devenu vieux est une tradition de certaines tribus du haut Nil, où ce sacrifice était encore pratiqué il y a quelques années. Quoi qu’il en soit, la première fête-Sed, célébrée après trente ans de règne, pouvait être suivie d’autres, à intervalles plus courts, chaque fois que le pharaon éprouvait le besoin de renouveler ses forces. Certains souverains célébreront jusqu’à trois fêtes-Sed successivement.
Un rôle temporel
Indépendamment de son rôle religieux, indispensable à la survie du Monde, Pharaon est aussi, bien entendu, un souverain temporel. En théorie, il possède toute la Terre, les pays étrangers aussi bien que l’Égypte, et les hommes ne sont que les usufruitiers du sol. Il accumule ensa personne tous les pouvoirs : administratif, judiciaire, militaire et religieux. Son palais, la Résidence, est le centre administratif de l’Égypte tout entière. Comme il ne peut, évidemment, s’occuper en personne de toutes les affaires, il délègue ses pouvoirs à des fonctionnaires, notamment au vizir (en égyptien thety ). Les événements ayant montré qu’un vizir unique pouvait devenir dangereux pour la royauté, il y eut souvent plusieurs vizirs en même temps, responsables chacun d’une partie déterminée du royaume.
S’il délègue une partie de ses pouvoirs, Pharaon semble avoir toujours gardé personnellement la conduite de l’armée. Innombrables sont les textes et les représentations qui exaltent son rôle de chef de l’armée, durant lequel il exécute des prouesses étonnantes.

La religion funéraire royale
À sa mort, Pharaon rejoint son père Rê pour l’éternité, il monte à bord de la Barque solaire et il accompagne le dieu dans sa course céleste, diurne et nocturne. La sépulture royale, qui est mise en chantier le jour même de l’intronisation, peut prendre des dimensions considérables, comme on en peut juger par les grandes pyramides de Giza, sépultures des pharaons Chéops, Chephren et Mycérinus, de la IVe dynastie, ou par les hypogées thébains des pharaons du Nouvel Empire, avec leurs centaines de mètres de souterrains creusés dans le roc.
L’aspect céleste de la religion funéraire royale se retrouve dans les textes : on ne dit pas de Pharaon qu’il meurt, mais qu’il « s’envole » au ciel. Après sa mort, un culte funéraire perpétuel est rendu à sa ou ses statues, qui se dressent dans le temple funéraire annexé à la Pyramide à l’Ancien Empire et au Moyen Empire, ou construit dans la vallée thébaine au Nouvel Empire ; à cette époque, il arrive que Pharaon érige de son vivant des statues à sa propre effigie et leur rende lui-même un culte.
À lire ce qui précède, on pourrait croire que Pharaon, véritable dieu sur terre, était traité comme tel par ses sujets : adoré, craint, respecté. Ce serait ne pas tenir compte de l’érosion de toute conception, surtout au cours d’une histoire aussi longue que celle de l’Égypte pharaonique. En fait, les textes ne manquent pas qui montrent l’aspect humain, trop humain parfois, de Pharaon. Les Égyptiens savaient distinguer entre la monarchie, qui était fondamentale pour leur conception du Monde, et le titulaire de la fonction, qui pouvait être faillible, voire indigne.